En théorie, éviter de compacter le sol est un critère pour les paiements directs de l’Etat à l’agriculture. Mais dans la pratique, rien ne va dans ce sens, faute de moyens d’évaluation. Mesurer la fertilité des sols est aussi extrêmement difficile, comme le rappelle Peter Grossenbacher: «Les gens comme moi attendent impatiemment une méthode, un appareil, un capteur qui permettrait de mesurer rapidement, facilement et objectivement la fertilité des sols. Comme un thermomètre. Mais l’échantillon manuel et subjectif reste la seule méthode à ce jour.» Avec ce qu’on appelle le «coup de bêche», l’agricultrice ou l’agriculteur peut sentir le sol, observer sa structure, juger sa couleur et examiner ce qui y vit: vers de terre, nématodes, mille-pattes et cloportes rampent et se tortillent. Le sol abrite bien plus de vie que cela: champignons, protozoaires, bactéries, insectes et autres animaux. Selon les calculs de l’OFEV, le poids de tous les êtres vivants sur un hectare de terrain peut atteindre quinze tonnes, soit autant que vingt vaches. Toute cette vie rend le sol fertile.
Peter Grossenbacher se sent parfois un peu seul, dans son milieu professionnel. Voilà qui explique peut-être la légère mélancolie émanant de sa personne. Il a l’habitude d’être une exception. Et il est fier d’avoir su résister au confort et aux tentations de l’industrie agricole; d’avoir misé sur l’agriculture biologique plutôt que sur le poison, sur la responsabilité individuelle plutôt que sur la dépendance; de prendre soin du sol, cette ressource précieuse et non renouvelable. Beaucoup d’autres «s’assoient à table, en hiver, avec un représentant de l’agrochimie. Elles ou ils lui demandent de préparer un plan de culture et lui achètent en même temps une stratégie de lutte antiparasitaire, alors même que personne ne peut dire quel temps il fera l’année suivante». Pour lui, pas question de déléguer et de «débrancher son cerveau».
Peter Grossenbacher regarde une autre publicité qu’il a découpée. Elle montre un agriculteur qui, des deux mains, examine la terre sur laquelle il se trouve. Le texte d’accroche dit: «Agriculteur, le métier le plus important sur la Terre». L’annonce est celle d’une entreprise qui vend toutes sortes de pesticides. Elle propose de participer à un concours pour gagner un tracteur. Cela inspire une remarque à M. Grossenbacher: «Nos tracteurs et autres machines sont délibérément petits et peu équipés, pour le bien du sol et de ses habitants. J’ai même retiré les portes et une partie des vitres, pour me débarrasser de chaque kilo superflu. Un jour, j’ai enterré mon bras dans un champ et fait rouler le tracteur dessus. Ça m’a quand même fait mal. Je n’ose pas imaginer ce qu’un véhicule aussi gros et lourd représente pour tout ce qui vit dans le sol. N’est-il pas ironique que l’on fixe une limite de poids pour une route asphaltée, mais pas pour un sol grouillant de vie?»
*L’entrevue a eu lieu quelques semaines avant la votation fédérale du 25.11.2018 sur l’initiative dite «pour les vaches à cornes».