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13.03.2019 par Marie Fourquet

Billet d'humeur

Article du thème Femmes et argent

Le panier de la ménagère

Le panier de la ménagère: voilà une expression des plus ringardes et qui résiste au tsunami féministe, même si elle se veut valorisante en insinuant que la femme, telle un écureuil domestique, est garante de l’équilibre ­financier du foyer. Quand on l’entend, tout de suite apparaît la ­ménagère de moins de 50 ans. On l’imagine, tablier de cuisine autour de la taille, pantoufles roses aux pieds, en train de découper ses bons de réduction tandis qu’un feuilleton romantique pleurniche au loin. Finalement, elle n’a que ça à faire, gérer les finances du ménage pendant que Monsieur, lui, s’occupe des gros achats re-narcissisants: voiture, maison, vacances. La presse et les économistes continuent d’utiliser cette expression pernicieuse et le débat ne tourne ­qu’autour du contenu de ce fameux panier.
Doit-on y mettre le permis de conduire, les assurances obligatoires? Mais pourquoi donc reste-t-il celui d’une ménagère et non du ménage? Fainéantise de la langue? Manque de ­vigilance?  
Cette expression bien ancrée dans notre quotidien est peut-être tout simplement le reflet d’une malheureuse réalité. Ce sont bel et bien les femmes qui s’attèlent aujourd’hui encore à la gestion des dépenses de la famille. On les voit avec brio jongler entre les ­enfants, leur carrière et l’harmonie du foyer. On les admire, on les ­encense, alors qu’elles s’épuisent à maintenir cette famille nucléaire. La fameuse «charge mentale», ­arnaque féministe du 20e siècle. Là où l’émancipation de la femme ­devait nous libérer, nous voilà asservies par cette triangulation ­maman, carrière et bien tenir sa maison. Ce que sous-entend cette expression patriarcale du panier de la ménagère, c’est une ­invitation à rester une bonne maîtresse de maison.
Qu’en est-il lorsque, dans le fracas d’un divorce, on se retrouve mère célibataire – ­c’est-à-dire, dans notre société, première victime de la pré­carité? Comment, alors, rester cohérente dans son féminisme? Comment, dans sa colère, ne pas céder à la tentation de faire payer, de saigner celui dont le seul rôle consistait à être un bon père de famille?

J’avoue avec honte, certaines fins de mois difficiles, fantasmer sur l’image de la femme-enfant, cette vraie femme au foyer entretenue, sans plan de carrière. J’avoue alors regarder dans la rue et chercher où pourrait bien être ce valeureux mâle alpha, dressé pour épanouir sa virilité dans l’acte de m’entretenir, moi et ma progéniture.
J’en étais à ces réflexions, face à mon avocat, le voyant transpirer et se concentrer sur le calcul de la pension alimentaire censée entretenir mes enfants à la suite de mon divorce. Le pauvre, assailli par ma logorrhée féministe, se débattait avec sa calculatrice.

Lorsque soudain, je lui dis:
Je ne veux pas de pension ­alimentaire. Je ne veux pas de l’argent du patriarcat.
Blême, mais patient, mon avocat découragé me rétorque:
Madame, vous tuez mon métier.
Dans un sourire libéré, comme peut l’être un sourire né d’une pensée lucide, j’assène:
Tant pis, si c’est le prix à payer.

Je préfère me battre pour l’égalité des salaires que pour une obli­gation d’entretien de l’ex-conjoint. Car, tout comme le panier de la ­ménagère, ce type de calcul de la pension alimentaire révèle ­surtout un système paternaliste.
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