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19.06.2020 par Esther Banz

Et comment j’annonce ça aux enfants ?

Sensibiliser les enfants à la crise climatique et à l’extinction des espèces sans les effrayer, voilà qui est important, mais pas facile. Car la peur et l’abattement peuvent augmenter tout autant que la température moyenne de la planète.

Photo: Esther Banz (màd)

« Enfant, j’avais de grosses angoisses », glisse Jonas Hostettler. Puis il se tait, le temps d’imaginer ce qui a pu se passer dans la tête d’un enfant de cinq ans à qui l’on annonçait que les forêts mouraient. Et comment ce même enfant, à huit ans, s’est représenté l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl et le nuage radioactif qui s’en est échappé. Jonas Hostettler a maintenant 42 ans et a co-fondé le mouvement suisse « Eltern fürs Klima » (« Parents pour le climat », en Suisse alémanique pour le moment, NDT). Il se souvient : « Dans les années 1980, les journaux abordaient régulièrement ces sujets. Mon père et ma mère évoquaient souvent la mort des forêts, le trou d’ozone, peut-être déjà le réchauffement climatique. Sûrement plus sensible que les autres enfants, j’avais du mal à imaginer à ce moment les conséquences des changements climatiques. Mais penser qu’il pourrait faire beaucoup plus chaud, que les forêts étaient menacées, tout cela me stressait et m’effrayait. »

Photo: Jonas Hostettler (màd)
Après ses études de chimie, Jonas Hostettler a travaillé comme scientifique à l’EPFZ et il enseigne actuellement la chimie dans une école cantonale à Winterthour. La paternité – il a deux enfants de cinq et sept ans – l’a amené à s’engager dans le mouvement des parents pour le climat. Il s’est aussi lancé parce qu’à l’instar de nombreux parents, il trouve inacceptable de consacrer autant d’énergie au bien-être de ses enfants alors que la science leur prédit un avenir misérable, si aucune mesure sérieuse n’est prise maintenant pour lutter contre la crise climatique. L’activisme et les changements visibles qu’a obtenus le Mouvement pour le climat en quelques mois sont, pour lui, un rempart contre la peur et l’impuissance. Il raconte comment : « Après l’élection de Trump, qui nie le changement climatique et a forcé les États-Unis à se retirer de l’accord de Paris sur le climat, j’ai cessé d’espérer que nous pourrions surmonter la crise climatique. Mais je me sens bien mieux depuis l’arrivée du Mouvement pour le climat, qui a grandement sensibilisé le public aux changements. Ce combat est épuisant, mais au moins, maintenant, les choses avancent. » M. Hostettler vit dans sa chair ce que psychologues et thérapeutes nous répétent inlassablement : il est bénéfique de parler de ce qui nous pèse, d’agir par nous-mêmes et de nous sentir efficaces. En revanche, il est néfaste à terme de détourner le regard, de nous réfugier dans le déni, de refouler ce qui nous est désagréable et stressant. Le changement finit de toute façon, tôt ou tard, par prendre sa place.

Les enfants ont besoin de discussions ouvertes et de modèles

Jonas Hostettler est particulièrement au courant de toutes les des découvertes scientifiques sur les changements climatiques. Sa fille de sept ans en connaît déjà un rayon sur le sujet et sur l’engagement de son père : « Elle veut savoir et comprendre, mais je ne suis pas certain d’être le mieux placé pour dire aux parents comment parler du changement climatique à leurs descendants. Parce que j’aimerais éviter que les miens réagissent comme moi à l’époque et qu’ils aient peur. » À ce jour, il leur a annoncé seulement une fraction de ce qu’il sait, préférant leur montrer les beautés de la nature : « Plein de choses m’émerveillent et les enfants voient cela. Je trouverais irresponsable de les accabler de faits qu’ils sont encore incapables de trier. Nous devons les protéger. »

Sabine Brunner est psychothérapeute à l’Institut Marie Meierhofer pour l’enfant (MMI), qui mène des recherches, propose des formations et donne des conseils sur des questions liées à l’enfance. Le MMI encourage les adultes à évoquer aussi les sujets difficiles avec les enfants, et il explique comment faire en fonction de leur âge.

Mme Brunner a dû apprendre à parler avec les siens des changements climatiques et de l’extinction des espèces, sans les effrayer. Désormais adultes, ils sont engagés dans le Mouvement pour le climat. : « Je trouve important de sensibiliser les enfants aux changements climatiques afin qu’ils puissent s’y confronter. On voit qu’ils se préoccupent très sérieusement de questions environnementales sitôt qu’ils peuvent les aborder, dès cinq ans environ. » Il faut toutefois bien réfléchir aux images à leur montrer : « Elles peuvent les angoisser, voire les traumatiser si on y voit des victimes ou si elles véhiculent une forte charge négative, par exemple avec des gens qui courent en hurlant pour échapper à un tsunami. » Selon la psychologue, les plus jeunes apprennent mieux à faire face aux défis des changements climatiques quand leurs parents montrent l’exemple : « Il est très précieux d’expérimenter le sens et l’effet de nos actions sur l’environnement. »

Agir ensemble aide à avancer

Selon Sabine Brunner, quoi que les enfants apprennent au sujet des problèmes environnementaux, l’essentiel est « qu’ils puissent garder leur joie de vivre. Les récentes mesures liées à la pandémie du coronavirus ont par exemple montré que l’air redevient pur très vite, et cela donne de l’espoir. Les enfants ont besoin de telles perspectives positives, d’avoir confiance dans le fait que les choses peuvent s’améliorer, afin de regarder l’avenir avec optimisme. Les parents devraient absolument le leur dire aussi ! » Elle ajoute : « Il est important que les enfants puissent se vider la tête et s’amuser dans la bonne humeur. » Un conseil qui s’applique également aux adultes, pour lesquels la détente et la récupération sont indispensables, ne serait-ce que pour pouvoir repasser à l’action. « Nous, les humains, devons réfléchir et d’agir. Nous commençons par analyser une situation, mais pouvons nous y perdre. L’action nous donne le contrôle ; nous nous sentons alors efficaces et éprouvons une certaine puissance. L’action commune augmente notre propre efficacité ainsi que le plaisir de s’impliquer. »

Photo: Katrin Pilling (màd)
Asti Roesle, une Zurichoise qui milite depuis longtemps pour Greenpeace, acquiesce pensivement, puis lance : « Tout à fait ! L’activisme est le meilleur remède contre le sentiment d’impuissance et la dépression. » Elle en a souvent fait l’expérience. En tant qu’action de masse, le Mouvement pour le climat a un impact non seulement sur la politique, mais aussi sur les jeunes : « Chaque manifestation, chaque rassemblement me rappelle que je ne suis pas seule. Nous sommes nombreuses et nombreux ! Impossible de nous ignorer. Nous avons quelque chose à dire, et nous le crions. » Elle se souvient d’enfants qui ont récemment préparé du thé au feu de bois, avant de le vendre en faveur du Mouvement pour le climat. Elle sourit : « Quand les adultes entendent cela, ils pensent peut-être : "Ouais, c’est mignon... Heureusement que ces gamins ne savent pas que ça ne servira à rien." Mais c’est faux ! D’abord parce que même les petites actions font une différence et, ensuite, parce que les changements climatiques sont bien pires pour celles et ceux qui en ont conscience, mais restent les bras croisés. »

L’anxiété climatique est mieux étudiée dans le monde anglophone

Dans le monde anglo-saxon, on parle depuis longtemps de « climate anxiety » (anxiété climatique) ou d’« eco anxiety » (éco-anxiété, ou solastalgie), y compris pour les enfants et les ados. Selon une enquête représentative effectuée auprès de jeunes de huit à seize ans, en Angleterre, un sur cinq redoute la crise climatique et deux sur cinq pensent que les adultes ne pourront pas éviter la catastrophe écologique. Au début de l’année, le journal anglais « The Guardian » s’est intéressé à la question dans une série d’articles. Les récents feux de brousse en Australie – où l’on a vu des kangourous carbonisés et entendu qu’un demi-milliard d’animaux auraient péri dans les incendies – ont pu alimenter la peur. Patrick Kennedy-Williams, psychologue clinicien à Oxford, avait déjà été confronté à l’anxiété pouvant survenir chez les climatologues, quand il s’est rendu compte qu’elle touchait aussi de nombreux enfants. Les parents de ceux qu’un effondrement écologique angoissait se sont tournés vers des psychologues, a expliqué le Britannique au « Guardian ». Voici ce qu’il conseille : « Parlez à vos enfants de la crise climatique et de l’anxiété qu’elle suscite. Et encouragez-les à s’investir pour le changement, quelle que soit leur contribution. »

Juste au moment les feux prenaient des proportions apocalyptiques dans leur pays, des chercheuses australiennes ont publié une étude révélant à quel point les événements climatiques peuvent entraîner des troubles post-traumatiques chez les enfants et les jeunes, voire – dans des cas extrêmes – une augmentation du nombre de suicides. On sait encore peu de choses sur la façon dont les bouleversements climatiques affectent le bien-être des jeunes dans les États industrialisés. Les recherches à cet égard et les conseils de soutien aux parents sont rares, écrivent les autrices de l’étude : « Étant donné que beaucoup d’enfants ressentent de l’impuissance et du désespoir pour ce qui est d’éviter des changements climatiques catastrophiques, il est important de renforcer leur sentiment d’efficacité aussi bien autonome que collective. » Des conversations avec de jeunes grévistes pour le climat ont montré que l’activisme « a été utile pour affronter leur peur de l’avenir et la transformer en détermination, en courage et en optimisme. En participant aux grèves, ces élèves semblent avoir acquis de nombreuses et précieuses capacités de développement positives. Des compétences qui leur serviront tout au long de leur vie. »

Photo: Dominique Roten (màd)
L’American Psychological Association (APA) a, elle aussi, approfondi le sujet. Tout comme beaucoup de pays du Sud, les États-Unis subissent régulièrement des événements climatiques extrêmes, qui laissent derrière eux des étendues ravagées et des personnes angoissées et traumatisées. Le rapport de l’APA de 2017 sur la santé mentale et le changement climatique donne des conseils pour les individus et les communautés. En plus d’appeler à l’adoption de mesures respectueuses du climat, le rapport recommande de renforcer la résilience et de mettre sur pied des communautés robustes. Il n’est pas fait directement allusion aux enfants, mais de toute évidence, ils seront mieux protégés et plus en sécurité dans des communautés porteuses et solidaires que dans des structures rivales de combattantes et combattants solitaires.

Et l’école ?

Retour en Suisse, à l’école. Outre les parents, le corps enseignant est constitué d’adultes dont les enfants sont en droit d’attendre une attitude sérieuse et prudente vis-à-vis de leurs questions et de leurs angoisses. Y compris au sujet du climat et de la disparition des espèces. C’est le cas, affirment Stefan Baumann et Anita Schneider, responsables de l’Éducation en vue d’un développement durable (EDD) à la Haute école pédagogique de Zurich. Dans toute la Suisse, futures enseignantes et futurs enseignants acquièrent des principes pédagogiques, compétences et connaissances du développement durable dans le cadre de l’EDD. Cela vise, entre autres, à mieux préparer les élèves aux défis à venir des changements climatiques. Comme le précise M. Baumann, « le programme d’études permet aux enseignantes et enseignants de déterminer sur quels enjeux climatiques elles et ils souhaitent mettre l’accent ». Il serait important que les élèves apprennent à examiner de plus près aussi bien un élément en particulier que son contexte. Voilà qui les aiderait également à éviter « de se démoraliser et de tout voir exclusivement sous un angle négatif ». Pour être plus exact, M. Baumann prend l’exemple des forêts tropicales : « Nous devons évoquer le déboisement tout en éveillant la fascination pour la forêt tropicale qui subsiste, expliquer comment des gens y vivent et l’utilisent durablement. » Lui aussi est conscient que « la peur peut donner envie d’agir, mais elle paralyse lorsqu’elle est excessive. Les enfants ont absolument besoin de perspectives ». Anita Schneider ajoute : « Ils doivent se sentir efficaces et concevoir leur capacité de changer les choses. Nous devons nous abstenir de leur faire endosser la responsabilité de nos échecs et nous montrer très prudents à cet égard, surtout avec des objectifs éducatifs idéalistes. » En fin de compte, on devrait renforcer durablement la santé mentale des élèves, « ce qui est une préoccupation majeure de la promotion de la santé à l’école ». La priorité serait donc d’éviter que les enfants voient des images catastrophiques de l’avenir et se les approprient. Elle insiste sur l’importance de disposer d’une marge de manœuvre adaptée à l’âge.

Illustration: Parents pour le climat (màd)
Jonas Hostettler, activiste de la première heure des parents pour le climat et lui-même enseignant, a l’impression que beaucoup de ses collègues sous-estiment l’urgence de la situation. Loin de lui, pourtant, l’idée de le leur reprocher. « Comment pourraient-elles et ils être au courant, alors que même dans des publications renommées, les déclarations des climatologues sont régulièrement relativisées ou tournées en dérision par des « sceptiques » qui n’y connaissent rien ou font juste du bruit ? Le réchauffement climatique aura un fort impact aussi sur nos vies et menace notre civilisation à moyen terme. Or, souvent, on distingue mal le lien entre les connaissances des climatologues et les conséquences concrètes pour nous. Il en résulte des lacunes dans la perception de la dimension et de l’urgence. » Mais ce militant ne doute pas une seconde que nous pourrons résoudre la crise climatique.


Conseils aux parents

Transmettez des connaissances, des valeurs et des comportements
> Parlez aux enfants des sujets qui les intéressent, en fonction de leur âge, sur la base d’expériences et de situations concrètes (par ex. achats, cuisine, élimination des déchets).
> Sachez ressentir quand, à quel point et comment un enfant a besoin d’informations. Donnez-en une « dose » adaptée. Oui, cela est exigeant ! On peut, par exemple, recourir à des émissions sur mesure bien conçues.
> En outre, et encore plus important : faites vous-même ce que vous dites et ce que vous attendez des autres.
> Discutez de vos actions familiales et planifiez-les afin de promouvoir l’écologie et la durabilité dans la vie de tous les jours. Agissez en conséquence (en parler ne suffit pas). Les enfants apprendront ainsi ce qu’eux et leur famille peuvent apporter. Dans une certaine mesure, vivre durablement devient alors concret.
> Faites découvrir les beautés de la nature aux enfants.

Sentiments, ouverture, empathie
> Evoquez ouvertement vos propres sentiments pénibles, par exemple en nommant vos incertitudes et en reconnaissant qu’elles sont parfois difficiles à supporter.
> Veillez au « dosage » et « gérez » bien votre univers émotionnel : un enfant ne doit pas servir de décharge pour vos propres sentiments négatifs.
> Tout aussi important : exprimez des sentiments positifs ! Vous pouvez dire sincèrement que vous ignorez si tout va bien se passer, tout en incitant l’enfant à garder espoir : il est possible d’agir et de trouver une solution.
> Entraînez-vous à gérer les nombreuses incertitudes de la vie. Dans un monde qui paraît socialement si contrôlé, mais très limité, nous devons nous entraîner avec les enfants à vivre dans l’incertitude. Aidez-les à en prendre conscience et à trouver une bonne manière d’y faire face.
> Transmettez raison d’être et auto-efficacité à l’enfant. Montrez-lui pourquoi il vaut la peine de vivre durablement et d’organiser sa vie quotidienne en conséquence.

Source : Gabriela Leuthard, responsable de la formation parentale à l’Office de la jeunesse et de l’orientation professionnelle, Direction de l’instruction publique du canton de Zurich
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