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13.03.2019 par Martin Bieri

«Lâcher un peu de lest ne ferait pas de mal aux hommes»

Difficile de trouver un domaine où la différence de revenu entre les genres serait plus marquée que dans le football ­professionnel. La footballeuse Lia Wälti connaît bien le sujet, et elle se sent privilégiée.

Article du thème Femmes et argent
Photo: SFV/KEYSTONE/Gaëtan Bally
moneta: Lia Wälti, vous êtes footballeuse professionnelle dans le célèbre club ­Arsenal de Londres. Comment cela se passe-t-il, financièrement parlant?
Lia Wälti: Je peux en vivre, même sans devenir riche. Ce serait impossible en Suisse. En Angleterre, il y a certes des amatrices en première ligue, mais aussi des joueuses qui touchent un salaire mensuel à cinq chiffres.

Avez-vous d’autres sources de revenus?
Pratiquement pas. Le club met à ma disposition une voiture et un appartement. L’Association suisse de football m’indemnise pour le temps passé avec l’équipe nationale. J’ai un contrat de parrainage avec un fournisseur qui m’offre des vêtements et des chaussures.

Connaissez-vous votre propre valeur sur le marché?
Non. Je ne traite pas moi-même mes contrats; un conseiller s’en charge. Je n’y connais rien et ne serais pas assez dure dans les négociations. Évidemment, je sais que meilleurs seront mes résultats, plus j’aurai de valeur, et mon objectif est de valoir un peu plus chaque fois que je signe un contrat.

Pourquoi paie-t-on les sportives et sportifs professionnel-le-s, au fond?
Je me le demande aussi et j’ai parfois du mal à me qualifier de professionnelle, parce que j’ignore si c’est vraiment un métier. Cela dit, je sacrifie beaucoup de choses pour le foot: tout passe après. J’y consacre probablement plus de temps que si je faisais un travail ordinaire. Je n’ai pas de week-end ni de soirée libre, et ma vie sociale s’en ressent.

Vous considérez-vous comme une employée de votre club ou comme une entreprise individuelle?
Je ne suis pas à mon compte. Peut-être que je devrais me considérer comme telle pour avancer encore plus loin, mais je fais partie d’une équipe et suis employée. Même si c’est avec beaucoup de responsabilités, car nous sommes les figures de proue du club.

Vous demande-t-on souvent quelles sont les différences entre le football féminin et masculin?
Très souvent. Je réponds toujours que je ne veux pas faire de comparaison, parce qu’elle serait forcément défavorable au foot féminin. Et pourtant, il s’agit du même sport. Cela dit, du point de vue économique, les deux mondes n’ont rien en commun et il serait plus logique de mettre le football féminin en relation avec le handball ou le volley-ball. Si nous nous comparons aux hommes dans les sports en question, nous, les footballeuses, n’avons pas à rougir.

Dans le foot, les hommes gagnent X fois plus que les femmes. Cette différence se justifie-t-elle par la substance économique bien plus importante du football masculin?
Je connais le problème de l’écart de rémunération entre les genres, mais je ne m’en préoccupe pas. Tant que je peux en vivre, voyager souvent, apprendre des langues, je suis contente. Et, franchement, les salaires qui ont cours dans le football masculin ne m’empêchent pas de dormir. Je me demande juste quand cette croissance effrénée prendra fin.

En Norvège, femmes et hommes touchent le même revenu pour les matches internationaux. Au Danemark, les femmes ont fait la grève pour un meilleur salaire. Que pensez-vous de tout ça?
La Norvège est exemplaire en la matière, mais il est très délicat de se référer seulement au football: nous devons lancer un débat de fond à ce sujet. Nous en sommes encore loin, en Suisse. Je soutiens la cause des Danoises. Si, comme dans leur cas, vous n’obtenez pas le montant qui avait été convenu avant le match, la grève s’impose certainement.

Les joueurs danois ont renoncé à leurs primes en faveur des femmes. Aimeriez-vous voir cela aussi en Suisse?
Bien sûr, de la bonne volonté et une plus grande solidarité seraient bienvenues, mais je ne revendique pas l’égalité salariale dans le football. Il faut rester réaliste et reconnaître que seul le football masculin génère des revenus. Pourtant, lâcher un peu de lest ne ferait pas trop mal aux hommes. Ils gagnent tellement d’argent, dans leurs clubs, que ce qu’ils reçoivent de l’équipe nationale n’y change pas grand-chose.
Lia Wälti est née à Langnau BE en 1993. Après avoir joué au FC Langnau, à YB Women et au ­Turbine Potsdam, la milieu défensive a rejoint Arsenal (à Londres) en été 2018. Entrée dans la Nati à 18 ans, elle a disputé depuis 81 matches internationaux avec la Suisse.
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