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13.09.2023 par Stefan Boss

Un plan d’action contre le gaspillage alimentaire

En Suisse, près d’un tiers de la nourriture finit à la poubelle. La fondation environnementale Pusch et la Confédération veulent y remédier, avec l’objectif ambitieux de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2030. Où intervenir pour lutter contre ces pertes colossales ?

Article du thème Économie circulaire

Au restaurant, les assiettes sont tellement pleines que les gens ne les finissent pas et on jette les restes. À la maison, les tomates du marché oubliées dans un coin moisissent et se retrouvent, dans le meilleur des cas, au compost. À la ferme, les cultivatrices et cultivateurs ne parviennent pas à vendre leurs carottes biscornues ; il faudra les manger soi-même ou s’en débarrasser. Voilà trois exemples de gaspillage d’aliments souvent produits à grands frais pour l’humain et qui ratent leur cible. Même s’ils ne vont pas tous à la poubelle et sont parfois compostés ou méthanisés, cela représente une gigantesque dilapidation d’énergie et d’autres ressources. Ainsi, selon un communiqué de presse de la Confédération, « près d’un tiers de la nourriture destinée à la consommation en Suisse est gaspillée ou jetée inutilement ». Compte tenu des pertes tout au long de la chaîne logistique dans le pays et à l’étranger, chaque Helvète jette en moyenne 330 kilos d’aliments par an, soit quatre fois et demie son propre poids (en moyenne aussi).


Les ménages se taillent la part du lion

Les pertes alimentaires colossales dans notre pays équivalent à la production de la moitié de sa surface agricole. Voilà ce qui ressort des calculs du WWF Suisse et du réseau d’audit et de conseil PwC. Leur étude commune publiée en 2021 montre qui gaspille et à quel point, sous l’angle de l’impact environnemental. Les ménages caracolent en tête avec 38 pour cent, suivis par l’industrie de transformation (27 pour cent), la gastronomie (14 pour cent), l’agriculture (13 pour cent), puis le commerce de gros et de détail (8 pour cent). Le pain et les légumes frais comptent parmi les aliments les plus gaspillés.


Les « Food-Ninjas » combattent le gaspillage

Avec la campagne « Save food, fight waste » lancée en 2019, la fondation environnementale Pusch souhaite sensibiliser le grand public au problème du gaspillage alimentaire. Un site web présente l’initiative : des « Food Ninjas » de noir vêtu-e-s et la tête ceinte d’un bandeau font la guerre au gaspillage, « avec du cœur et de l’esprit » plutôt qu’avec un sabre. S’ajoutent à cela de précieux conseils. Par exemple, planifier chaque achat, bien stocker les aliments et faire preuve de créativité culinaire.

Outre le site web, la campagne mise sur des spots et des annonces dans les médias classiques, ainsi que sur un effet multiplicateur via des organisations partenaires ainsi que des influenceuses et influenceurs. Clivia Bucher, responsable de la campagne, rappelle qu’« il a fallu renoncer à de nombreux événements et actions de terrain pendant la première phase, qui s’est déroulée pendant la pandémie ». Ce qui n’a pas empêché la réussite de certaines actions, comme la distribution de denrées imparfaites dans la gare centrale de Zurich avec l’Union suisse des paysans. Un autre partenaire est la société de restauration SV Group, qui fournit des cantines d’entreprise et scolaires. Mme Bucher prévoit d’intensifier la collaboration avec les écoles. En plus du grand public, elle espère aussi mettre à contribution l’industrie de transformation, le commerce de détail, la gastronomie et l’agriculture. L’ensemble de ces secteurs représente 62 pour cent de l’impact environnemental du gaspillage alimentaire.


Lausanne mange local

Le cabinet d’audit et de conseil Deloitte ainsi que le réseau Circular Economy Switzerland – qui regroupe de grandes entreprises comme Coop, Holcim et La Poste Suisse – ont creusé le sujet. Ils ont publié cette année « The Circularity Gap Report » (lire à ce sujet l’article « À défaut d’une révolution, un bouleversement » dans moneta 3-2023). Ce rapport chiffré et plutôt austère consacre tout un chapitre au secteur alimentaire. Outre la campagne de Pusch, il cite en exemple la ville de Lausanne, qui propose de plus en plus d’aliments produits durablement dans les cantines de l’administration et des écoles. Sur ses 1,3 million de repas servis en trois ans, deux tiers étaient composés d’aliments locaux. Même s’il ne s’agit pas ici directement d’éviter le gaspillage de nourriture, on peut assurément voir dans les productions locales, biologiques et intégrées – moins gourmandes en ressources – des étapes majeures vers une alimentation plus durable.


Accord entre la Confédération et l’industrie alimentaire

« De nombreuses mesures et initiatives pour faire baisser le volume des déchets alimentaires évitables existent déjà en Suisse, mais la plupart ont une faible portée ou sont limitées localement », écrivait en avril 2022 le Conseil fédéral dans son communiqué de presse intitulé « Lutte contre le gaspillage alimentaire ». Il a adopté à l’époque un plan d’action assez ambitieux, « dans le but de diminuer le gaspillage alimentaire de moitié d’ici 2030 par rapport à 2017 ». Lors d’une première phase qui s’étend jusqu’en 2025, la Confédération prévoit de conclure un accord avec la restauration, la distribution, l’industrie de transformation et l’agriculture. But de l’opération : réduire le gaspillage de nourriture par des mesures volontaires. Comme le précise le communiqué de presse, des mesures supplémentaires seront possibles dans la seconde phase. Le gouvernement justifie ce plan d’action non seulement par la dilapidation des ressources et les effets négatifs sur l’environnement, mais aussi explicitement par la guerre en Ukraine, qui « amplifie les problèmes d’approvisionnement en denrées alimentaires dans le monde ».

Depuis lors, la Confédération et l’industrie alimentaire ont scellé l’accord. Des groupes de travail ont vu le jour dans les domaines du commerce, de la restauration et de l’industrie de transformation. Robin Poëll, porte-parole de l’Office fédéral de l’environnement, ajoute que l’on envisage également d’améliorer l’indication des dates limites des produits. « Il faut les prolonger, et même les supprimer si possible », pour autant que cela ne menace pas la salubrité alimentaire. Beaucoup de gens considéreraient la date limite de consommation comme une échéance stricte. De nouvelles indications sont donc à l’étude, par exemple « se conserve au moins jusqu’au XXX, et en général plus longtemps ».


Le nouveau ministre de l’Environnement s’en soucie aussi

Le plan d’action a été décidé sous la houlette de l’ex-Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga (PS). Quelle priorité son successeur Albert Rösti (UDC), nouveau ministre de l’Environnement et agronome de formation, donne-t-il à la lutte contre le gaspillage de nourriture ? Robin Poëll insiste sur le fait que le Conseil fédéral dans son ensemble a approuvé le plan d’action. Et d’ajouter : « Éviter le gaspillage alimentaire est une grande préoccupation de M. Rösti ; il y veille personnellement. »

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