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29.11.2023 par Stefan Boss

«Difficile de repartir avec tous les médicaments figurant sur une ordonnance»

Même dans ce paradis de l’industrie pharmaceutique qu’est la Suisse, de nombreux médicaments viennent à manquer. Lydia Isler-Christ, pharmacienne, nous explique comment elle remédie à la pénurie.

Article du thème LA RARETÉ
Foto: zvg
Lydia Isler-Christ ­est pharmacienne, propriétaire de l’enseigne Sevogel, à Bâle. Elle préside l’association des pharmacien-ne-s de Bâle-Ville. Le nom «Sevogel» vient d’une ancienne famille bâloise. 

moneta: Madame Isler-Christ, manque-t-il quelque chose dans votre officine? 
Lydia Isler-Christ Oui, toujours. La pénurie de médicaments frappe toutes les pharmacies, pas seulement la nôtre. 


Pourriez-vous nous donner un exemple? 

L’hiver dernier, les antibiotiques se faisaient rares et cela pourrait se reproduire cet hiver. Nous ne pouvons en outre vendre qu’une quantité définie de comprimés pour certaines substances, et plus des boîtes entières. 


Qu’en est-il des analgésiques les plus puissants?
 
Nous avons régulièrement du mal à obtenir certains opioïdes, ce qui pose de gros problèmes. Nous sommes aussi à court d’antihypertenseurs, de médicaments contre l’épilepsie, de préparations hormonales. À vrai dire, il nous en manque dans tous les domaines. 


C’est inquiétant. La Confédération a ouvert une partie de ses réserves. Cela améliore-t-il la situation?
 
Dans une certaine mesure, mais il faut reconstituer ces réserves. Et nous ne ressentons pas encore les effets de cette ouverture dans notre pharmacie. 


Elle se trouve à Bâle, comme les entreprises pharmaceutiques Roche et Novartis. Question idiote: pourquoi ne pas vous adresser à elles pour obtenir plus de médicaments?
 
Ce sont principalement leurs sites de recherche qui sont à Bâle. Roche a gardé quelques sites de production en Suisse, mais les médicaments sont en grande partie fabriqués à l’étranger. 


Les ruptures de chaînes d’approvisionnement posent problème. D’où viennent nos médicaments? 

Les substances actives proviennent souvent de Chine. On les envoie ensuite dans un autre pays où on les transforme en médicaments. Il en va ainsi presque partout dans le monde. 


Certaines pharmacies se remettent à fabriquer leurs médicaments. Est-ce une solution?
 
Nous essayons de nous y mettre, mais il reste difficile d’obtenir les substances actives. L’hiver dernier, nous avons produit du sirop contre la toux et, en ce moment, nous fabriquons des tranquillisants et des gélules contre les troubles du sommeil. Nous, les pharmaciennes, sommes heureuses de revenir à cette compétence de base. 


Quelles seraient les autres solutions? Faudrait-il davantage collaborer avec l’étranger?
 
Le problème ne touche pas uniquement la Suisse, mais la planète entière. Il faut trouver des solutions à tous les niveaux. On parle de rapatrier la production des substances actives dans l’UE, voire en Suisse. Sauf que cela fait monter les prix et pose la question du coût des médicaments. 


Malgré les pénuries, la situation reste bien meilleure en Suisse que dans des pays pauvres ou des régions en guerre. Notre pays peut-il continuer à être solidaire?
 
Cette responsabilité revient avant tout à la Confédération. Ainsi, on a envoyé des antibiotiques en Ukraine. On expédiait autrefois même des boîtes entamées dans des zones de conflit, mais cela pose de gros problèmes techniques. Mieux vaut donner de l’argent et centraliser l’achat de mé­dicaments. 


Avez-vous déjà souffert, vous ou vos proches, d’une pénurie de médicaments?
 
Mes parents ont besoin d’antihypertenseurs. Certains produits combinés n’existant plus, nous avons tenté de les composer à partir de différents comprimés. Aujourd’hui, il devient difficile de repartir avec tous les médicaments figurant sur une ordonnance. Nous expliquons sans arrêt aux gens qu’ils doivent se contenter de ceux qui sont disponibles. 


Comment abordez-vous la pénurie en général, par exemple le manque de temps? 

J’essaie d’être créative et de fixer des priorités. 


Imaginons qu’il vous faille un oignon pour cuisiner et que les magasins soient fermés...
 
Je vais chez la voisine! (Elle éclate de rire.) J’ai beau habiter en ville, nous nous entraidons, ce qui est très agréable. 


Il est sûrement plus difficile de se dépanner pour des médicaments, à moins qu’il s’agisse d’aspirine.
Certes, mais mes voisines et voisins viennent quand même me voir quand il manque quelque chose dans leur pharmacie de ménage. 

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