«Tous les groupes de population doivent pouvoir accéder de manière appropriée aux services de versement, paiement et virement dans toutes les régions du pays»: cela figure noir sur blanc sur une page web de la Confédération. Le «service universel en matière de services de paiement est une offre obligatoire. Elle comprend l’ouverture et la gestion d’un compte pour le trafic des paiements, le virement du propre compte sur le compte de tiers, le versement et le retrait d’espèces sur propre compte. Sans oublier, bien sûr, la possibilité de virer des espèces sur le compte de tiers. Autant de services que l’on doit pouvoir effectuer en Suisse dans un lieu accessible en trente minutes à pied ou par les transports publics. La Confédération a confié ce mandat de service universel à la Poste, plus précisément à sa filiale PostFinance, et vérifie chaque année sa bonne exécution. Elle s’assure par exemple que l’accès aux prestations électroniques de PostFinance soit garanti à tout le monde, y compris aux personnes avec handicap.
Mais en matière de service universel, l’affirmation «tout le monde» ne va pas forcément de soi. Certaines exceptions ne sont pas formellement mentionnées dans la description dudit service. Ainsi, un pour cent environ de la population suisse est privé de compte. Les enfants sont aussi concernés.
Plus de 76 000 personnes sans papiers valables
Monica Gonzales fait partie de ces adultes qui, dans notre pays, travaillent dur et gagnent de l’argent sans pouvoir le verser sur un compte postal ou bancaire. Impossible d’en ouvrir un. Et mieux vaut cacher son nom quand on n’a pas l’autorisation de vivre en Suisse. Un jour d’avril, cette femme à l’élocution rapide et précise est venue à la permanence pour les sans-papiers SPAZ, dans le bâtiment de la coopérative Kalkbreite à Zurich. Elle avait dû annuler un premier rendez-vous à la suite d’un changement de la dernière minute par son employeuse. Mme Gonzales ne peut pas se permettre de lui dire non. Comme la plupart des femmes sans-papiers d’Amérique latine, elle fait le ménage et garde des enfants. Combien sont-elles dans son cas? On l’ignore, et pour cause! Dans un rapport de 2018, la Confédération estime à environ 76 000 le nombre de sans-papiers résidant en Suisse; les organisations spécialisées avancent un chiffre bien plus élevé. Autant de personnes qui travaillent ici, parfois depuis longtemps, mais doivent se cacher et n’ont guère d’espoir de voir leur statut régularisé dans un avenir proche. Alors que l’on a besoin d’elles et qu’elles contribuent à la prospérité du pays.
Pas de papiers, pas de compte en banque
Monica Gonzales est arrivée en Suisse peu avant la pandémie de coronavirus. Hébergée par les gens pour qui elle travaillait, elle n’a jamais vu son salaire, car Mme Gonzales faisait virer l’argent directement à sa famille, dans son pays d’origine. Bien que totalement dépendante et comme sous tutelle, alors qu’elle était adulte, Mme Gonzales se satisfaisait de cette situation: «J’avais une chambre et à manger, je sortais peu, mes employeurs m’ont familiarisée avec le pays et expliqué comment les choses fonctionnent. J’étais également heureuse d’avoir de l’eau potable et de la lumière quand on en avait besoin. J’étais en de bonnes mains.» Ses employeurs l’ont d’ailleurs bel et bien payée.
La relation professionnelle a pris fin au bout d’une année. Monica Gonzales a dû trouver une autre place et un autre logement. À ce moment seulement, elle a vraiment réalisé ce que signifie l’absence de permis de travail ou de séjour valable et l’impossibilité d’en obtenir à brève échéance. Cela revient, entre autres, à ne pouvoir ouvrir un compte en banque: «Je me suis d’abord demandé pourquoi ce serait infaisable. Je gagne de l’argent, il faut que je puisse le mettre en sécurité.» En comprenant qu’une personne comme elle ne peut vivre et travailler légalement ici, elle a saisi qu’elle n’aurait jamais d’adresse officielle. Dès lors, pas de compte en banque ni de moyen de louer légalement un appartement ou une chambre. «Ma seule présence constitue une infraction dans un important domaine juridique. Je suis donc totalement exclue.»
Un jour, Monica Gonzales a participé à une rencontre avec d’autres sans-papiers. «J’avais sur moi le montant du loyer de ma chambre pour les semaines à venir. Ce qui fait beaucoup d’argent.» Après la réunion, elle a dû partir en vitesse pour arriver à l’heure au travail. Elle a réalisé en chemin avoir oublié son sac à main avec toute sa fortune. «Quel choc! Heureusement, personne ne l’avait emporté, mais deux femmes l’ont examiné pour savoir à qui il appartenait. J’ai dû justifier la présence de tout cet argent.» L’angoisse de perdre ce qu’elle a gagné la hante chaque seconde: «J’ai toujours l’entier de mon salaire sur moi. Je ne peux le mettre en sécurité nulle part, même pas dans ma chambre, car elle ne ferme pas à clé.» De plus, elle risque d’être contrôlée et arrêtée par la police à tout moment. «Je ne pourrais plus retourner chercher mes affaires.»