Quatre ans avant sa mort survenue en 2018, Ursula K. Le Guin – l’une des rares auteures féminines de science-fiction – a fait cette prédiction: «Des temps difficiles sont à venir. Nous allons avoir besoin de l’inspiration d’écrivaines et d’écrivains capables d’envisager d’autres manières de vivre que la nôtre. De voir au-delà de notre société prisonnière de ses angoisses et de ses technologies obsessionnelles. D’imaginer d’autres projets de vie afin d’esquisser la véritable raison d’espérer.» Elle a qualifié de «visionnaires» ces personnes aptes à inventer une réalité plus vaste. De fait, la réalité semble actuellement réduite à des contraintes de plus en plus oppressantes et sans issue.
Qui ose encore imaginer l’avenir? Des versions vivables et optimistes du futur? En littérature, leur déclin remonte au début des années 1980 et coïncide plus ou moins avec le succès du cyberpunk. Bien que ces récits des prémices de l’ère numérique aient rapidement saisi la fascination vis-à-vis des nouvelles possibilités, ils ont immédiatement adopté une atmosphère dystopique. Dans le même temps, depuis la Silicon Valley, des voix s’élèvent, bien réelles, elles. Confiantes, elles ne cessent de promettre des lendemains qui chantent toujours plus fort et des gadgets numériques sans cesse renouvelés, dont on a oublié depuis belle lurette si nous avons besoin d’eux ou eux de nous.
Cependant, de larges parts de la population ne se laissent convaincre ni par les récits ni par les promesses. Il faudrait un entre-deux crédible, selon Nicolas Nova, l’un des penseurs suisses les plus clairvoyants en matière de conception créative. Il enseigne à la Haute école d’art et de design de Genève et dirige, avec des collègues, le Near Future Laboratory, un studio de design helvético-californien qui tente davantage de réfléchir à l'avenir que d'imaginer des produits concrets. Et d’ajouter: «Opposer utopies et dystopies est assez vain. Mieux vaut étudier une multitude de possibilités dans ce spectre.» Toutes les personnes qui réfléchissent au futur – architectes, designeuses et designeurs, scientifiques, écrivaines et écrivains – seraient bien avisées de concevoir des «visions plausibles et réalistes de l’avenir».