842
18.09.2019 par Esther Banz

«Techniquement, le zéro net est réaliste»

Alors que le lobby pétrolier continue à se battre contre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre et que les jeunes s’insurgent pour sauver le climat, de plus en plus d’entreprises helvétiques œuvrent à un avenir neutre en CO2. L’association Swisscleantech les représente politiquement. Christian Zeyer, son directeur, évoque les élections à venir, le lobbying et les nouvelles technologies clés.

Article du thème Zéro net
Illustration: Claudine Etter
moneta: Christian Zeyer, votre association Swisscleantech a fêté en juin dernier son dixième anniversaire à la Haute école technique de Rapperswil. Vous avez alors dit à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, à propos de la transition énergétique, «j’ai l’impression que nous avons perdu courage». Qui était ce «nous»?
Christian Zeyer : Je parlais de la Suisse, de ses sphères politiques et d’une large partie de l’économie helvétique. Nous faisons face à des défis énormes et nous nous accrochons peureusement à la situation actuelle.

Swisscleantech se décrit comme une plaque tournante pour les petites et grandes entreprises novatrices, qui s’engagent en faveur du virage énergétique et de la durabilité climatique. Ressent-on aussi ce découragement chez vos membres?
Quand je discute avec eux, je suis toujours impressionné par leur confiance en l’avenir, par leur capacité d’y voir des chances et par leur volonté de les saisir. Hélas, nous sommes encore trop peu. Nous avons grand besoin d’un réel mouvement économique pour davantage de durabilité.

Que faut-il pour que les entreprises soient plus nombreuses à se comporter de manière véritablement durable?
Il leur faut des conditions-cadres qui les soutiennent dans cette démarche. Or, aujourd’hui, les comportements destructeurs sont souvent récompensés et l’engagement durable est puni. La nature appartient à tout le monde et son exploitation est généralement gratuite. Elle subit alors des dommages aux dépens de chacune et chacun. La politique doit définir des conditions-cadres qui changent cette situation et rendent profitable une approche respectueuse de l’environnement.

Simonetta Sommaruga a suscité l’espoir, à Rapperswil, en déclarant qu’une politique énergétique axée sur la durabilité est un cadeau pour la place industrielle suisse, car les investissements resteront dans le pays au lieu de partir vers ceux du Golfe.
Oui, mais gardons à l’esprit qu’en Suisse, toute politique doit réunir une majorité. Simonetta Sommaruga peut pavoiser, mais si rien ne change? C’est le parlement qui décidera, ou plus précisément celles et ceux que nous élirons cet automne.

L’industrie pétrolière met le parlement sous forte pression, avec des émissaires de l’Union pétrolière, d’Economiesuisse, du TCS et de tout le secteur automobile. Et vous?
Nous sommes la seule voix politique de l’économie qui s’engage pour modifier les conditions-cadres dans tous les secteurs. Nous représentons actuellement un peu plus de 300 membres directs et 20 associations. Parmi les quelque 400 000 entreprises que compte notre pays, toutes n’ont pas comme nous l’ambition d’une économie durable. Nous voulons donc continuer à grandir et à nous renforcer.

Swisscleantech applique-t-elle des critères d’exclusion vis-à-vis de ses membres?
Non, nous accueillons toutes les entreprises qui signent notre charte et croyons qu’il vaut la peine d’atteindre la neutralité carbone le plus tôt possible.

Collaborez-vous avec des associations environnementales?
Nous parlons à tout le monde, mais en nous considérant comme un mouvement économique, nous nous distinguons délibérément des ONG.

Que pensez-vous des exigences de la jeunesse en faveur du climat pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2030?
Voilà un objectif noble qui échouera probablement. Pas à cause de la technologie, mais de l’absence de mise en œuvre par la population et l’économie. La volonté de changement est encore trop faible dans l’économie suisse, sauf parmi nos membres. J’ai l’impression que la plupart des gens se posent sur leur canapé, regardent les informations et assistent sans bouger aux bouleversements qui affectent le climat et notre planète. Pensent-ils que ça ne les concerne pas? Ils ne voient pas que faute d’agir rapidement, le canapé deviendra bientôt beaucoup moins confortable.
Christian Zeyer, ingénieur chimiste EPF, travaille depuis 2009 pour Swisscleantech, qu’il dirige depuis 2017. (Photo: màd)
Si nous sommes incapables de concevoir que tout ça puisse changer un jour, est-ce parce que les choses vont encore relativement bien?
Autre hypothèse: tout va bien et nous croyons que si nous agissons, ça ira moins bien. La très classique politique de l’autruche. Et, bien entendu, cette peur est exploitée. Une vision permettrait de contrer cela. Techniquement, le zéro net est réaliste, sûrement d’ici 2050, voire 2030. Nous devrions changer toutes nos priorités et consommer drastiquement moins. Les gens y sont-ils prêts? La seule chose dont je suis certain est que les douze étapes que nous énumérons et expliquons (voir page 8) sont comme les pièces d’un puzzle: elles s’emboîtent et rien ne manque. Reste à les assembler!

Sur quelles conditions-cadres politiques travaillez-vous actuellement?
Très concrètement, nous mettons l’accent sur la loi sur le CO2, qui sera révisée cet automne. Nous nous engageons pour la poursuite et l’extension de la taxe d’incitation, afin que la loi soit compatible avec l’Accord de Paris sur le climat. Les mesures proposées par le Conseil fédéral constituent assurément un premier pas dans la bonne direction et il devrait être possible d’obtenir une majorité en leur faveur.

L’objectif de réduction du Conseil fédéral ne cadre toutefois pas avec l’Accord de Paris, d’où l’initiative pour les glaciers. En approuvez-vous, malgré tout, les grands axes?
En ce qui concerne les mesures, oui, mais nous aimerions évidemment un objectif plus ambitieux, comme ceux de l’Initiative sur les glaciers, avec un zéro net d’ici 2050.

La technologie Power-to-X est de celles que Swisscleantech présente comme pilier d’un avenir neutre en CO2. Elle consiste à transformer de l’énergie solaire et éolienne en hydrogène, puis en vecteur énergétique par l’ajout de CO2. Le Conseil fédéral a récemment consacré un livre blanc au Power-to-X. Qu’a-t-il de si séduisant?
Si nous développons les énergies renouvelables dans notre pays, en particulier l’énergie solaire, nous aurons d’importants surplus d’électricité, notamment l’été. Mais nous avons aussi besoin d’énergie pour l’aviation, le trafic maritime et le transport de marchandises en général. Le Power-to-X comble cette lacune. Il permet de produire du gaz ou de l’essence synthétique, compacte et stockable. Toutefois, avec la transformation en matière première destinée à la conservation, on perd 50 à 70 pour cent de l’énergie. Pas très efficace. La retransformation en électricité est possible, mais il en résulte de nouveau une perte. Le principe n’a rien de nouveau, puisque le craquage de l’eau est connu depuis 80 ans. On le voit maintenant comme une partie de la solution, mais il n’est pas la seule solution.

Swisscleantech s’engage-t-elle aussi dans le secteur financier?
Oui, nous avons la conviction qu’il doit devenir plus transparent. En achetant des actions ou des fonds structurés, vous ignorez souvent quelles émissions ils génèrent et quels risques ils impliquent en matière de changement climatique. Pourtant, voilà des informations essentielles pour toutes les investisseuses et tous les investisseurs: il faudrait donc qu’elles soient publiques et que la loi veille à cela. Nous devons aussi nous pencher sur la nécessité d’instaurer de nouvelles règles d’investissement pour les caisses de prévoyance. Après tout, elles placent notre argent sans nous demander notre avis. Est-ce que je veux vraiment que cet argent serve à acquérir des actions d’une compagnie pétrolière?

Les douze étapes de Swisscleantech vers un avenir durable

1. Adapter les bâtiments pour gagner en efficacité
2. Produire de la chaleur sans CO2 
3. Électrifier les transports 
4. Créer des chaînes de mobilité et flexibiliser le travail 
5. Augmenter la production d’électricité durable 
6. Créer de nouvelles incitations sur le marché de l’électricité 
7. Investir dans les réseaux électriques et le stockage 
8. Se rappeler que l’énergie la moins chère est celle qui n’est pas consommée 
9. Power-to-X: transformer l’eau par craquage avec l’énergie solaire 
10. Favoriser l’économie circulaire 
11. Déterminer un prix mondial pour le CO2 
12. Exploiter les avantages de la numérisation 

Informations supplémentaires 
Imprimer l'article
Articles liés

Une entreprise en transition

Une entreprise dont le cœur de métier génère beaucoup de CO2 peut-elle accomplir le tournant énergétique? «Oui», répond Energie 360°. Le plus grand fournisseur de gaz en Suisse mise désormais sur les énergies renouvelables.
18.09.2019 par Esther Banz

Des pionniers romands du solaire à la conquête de la Suisse alémanique

Le jeune entrepreneur Pedro Miranda poursuit un objectif ambitieux. Il veut équiper mille maisons individuelles suisses d’une installation solaire avec sa société Younergy Solar SA, d’ici fin 2020. Il dispose pour cela d’un argument imparable: les ménages n’ont pas à investir un seul franc et paient uniquement l’électricité produite.
18.09.2019 par Mirella Wepf