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14.03.2022 par Daniel Bütler

De bois, d’argile et de béton

Le bois et l’argile sont des matériaux de construction prometteurs pour une architecture «zéro émission nette». Le recours au béton persistera, mais nous devons l’utiliser plus intelligemment.

Illustrations: Claudine Etter
Inauguré en 2019, le siège de Swatch Group, à Bienne, a fait entrer la construction en bois dans une nouvelle ère. Ce bâtiment spectaculaire se déploie sur 240 mètres. Son toit a nécessité l’assemblage au millimètre près de 4600 éléments en bois, pour constituer une structure porteuse grillagée. Seules une planification et une fabrication numérisées ont permis cet exploit. La revue d’architecture «Hochparterre» voit dans l’ouvrage un ambassadeur à l’échelle mondiale. L’entreprise horlogère s’est approvisionnée en suisse pour son bâtiment, lauréat du Prix international d’architecture bois. 
Faut-il en déduire que le secteur de la construction a déjà pris un virage écologique? Les choses ne sont pas si claires, mais elles commencent à bouger dans le domaine. Heureusement, car d’après les calculs de l’Empa, l’industrie du bâtiment est à l’origine de près de 30 pour cent des émissions de gaz à effet en Suisse. De cette part, deux tiers proviennent de l’exploitation – en particulier les chauffages au mazout et au gaz – et un tiers des matériaux. Il s’agit d’énergie grise et on doit celle-ci avant tout au béton, plus précisément au ciment. Les cimenteries émettent 9 pour cent du CO2 rejeté dans l’atmosphère en Suisse, contre 6 pour cent à l’échelle mondiale. Matériau de construction le plus utilisé, le ciment a un rôle majeur à jouer dans la décarbonation du bâti. Une solution serait de recourir davantage au bois. Après tout, celui-ci pousse juste à côté et il stocke environ une tonne de CO2 par mètre cube. 
C’est un fait: la construction en bois est en plein essor. À peu près un nouveau bâtiment sur sept en Suisse est déjà en bois, avec une tendance à la hausse. La numérisation a apporté une forte impulsion technique, explique Michael Meuter, responsable des relations publiques chez Lignum, organisation faîtière de l’économie suisse de la forêt et du bois. Bâtir en bois devient plus facile, plus précis et – grâce à la préfabrication – plus rapide que la construction massive. M. Meuter voit l’avenir en rose: «Le marché immobilier exige la protection du climat et l’efficacité énergétique, ce qui fait du bois le matériau idéal.» Coopératives et pouvoirs publics ont initié des projets de grande envergure, mais des entreprises privées misent aussi sur ce matériau naturel, notamment pour une question d’image. La société V-Zug veut ériger une tour en bois, et le groupe de médias zurichois TX Group l’a déjà fait pour son siège.

Le bilan climatique dépend du façonnage et du transport

Intuitivement, on se dit que le bois est écologique et durable. Ce n’est pas faux : des études montrent que les bâtiments façonnés avec ce matériau ont un impact sur le climat de 5 à 25 pour cent inférieur à celui des constructions massives. Leur bilan environnemental est bon, confirme Gianrico Settembrini, spécialiste en durabilité à la Haute école de Lucerne, «mais mieux vaut y regarder de près», car le bois n’est pas toujours meilleur que les autres matériaux. Son origine et son degré de transformation sont déterminants. Des processus comme le collage consomment beaucoup d’énergie et laissent à désirer du point de vue écologique. En ce qui concerne le bilan climatique, le type d’énergie utilisé pour le façonnage est décisif: un produit fabriqué avec de l’électricité allemande à base de charbon sera moins bien noté qu’un produit suisse, dont le mix énergétique est relativement propre. Et plus le bois voyage, plus le transport plombera son bilan. 
L’origine est le deuxième aspect crucial. Pour différentes raisons, notre pays ne fournit pas assez de bois de construction et en importe 70 pour cent. «La plupart du temps depuis des pays voisins où l’on pratique une sylviculture durable», glisse Michael Meuter, de Lignum. Selon les statistiques douanières, beaucoup de bois vient d’Allemagne, «mais la véritable origine n’est pas toujours claire», regrette Johanna Michel, du fonds Bruno Manser. Seul le pays d’importation est indiqué, pas celui de l’abattage. Ainsi, du bois «allemand» peut provenir de forêts d’Europe de l’Est, peut-être de sylviculture non durable, voire d’abattages illégaux. La transparence est insuffisante, déplore Mme Michel. En outre, même des labels tels que FSC ne garantissent pas un bois irréprochable. On ignore donc si du bois de construction d’origine douteuse est utilisé dans notre pays, et en quelle quantité. Pour avoir la conscience tranquille, mieux vaut choisir du bois issu de forêts suisses.

La panacée de la construction biologique

En fin de compte, le bois ne résoudra pas le problème de l’impact de la construction sur le climat, tout simplement parce qu’il ne devrait pas suffire à couvrir les besoins. On dispose heureusement d’une autre matière première naturelle dont l’empreinte climatique est excellente: l’argile. L’architecte zurichois Roger Boltshauser s’extasie à l’évocation de ce matériau archaïque, qui permet de créer des murs si sensuels. Il construit autant que possible avec de la terre crue, bien que cela demande un important effort de persuasion. «Beaucoup de gens ont un grand respect pour l’argile.» Tombé dans l’oubli, ce matériau traditionnel était pourtant très répandu dans notre pays, par exemple dans les maisons à colombages. Sur la planète, près d’un tiers des gens habitent dans des constructions en terre. 
La terre crue n’a besoin que de sécher, pas de cuire. Toutefois, l’utiliser pour ériger un mur implique un long et coûteux travail manuel. Un mur revient deux fois plus cher en pisé qu’en béton. Il sera en outre sensible à l’eau et doté d’une capacité de charge limitée. Par contre, la terre se laisse façonner presque sans apport d’énergie et ne contient pas de substance nocive, en plus de réguler la température, les odeurs et l’humidité. Un vrai produit miracle en matière de construction biologique! Pas étonnant que des maîtres d’ouvrage à l’esprit ouvert l’aient redécouvert. Le siège de Ricola, à Laufon, est un ouvrage en argile exemplaire. 
La terre présente aussi l’avantage d’être abondante, du moins lors de nouvelles constructions. Sur le Plateau, chaque excavation en prélève de grandes quantités,  souligne Roger Boltshauser. La terre est généralement mise en décharge – un véritable gaspillage de cette précieuse ressource. L’architecte admet que l’on devra mener encore beaucoup de recherches avant de pouvoir construire à grande échelle avec de la terre. Il reste convaincu que cela est possible et voit un vaste potentiel, surtout dans les constructions hybrides qui associent argile, béton et bois. Cette combinaison in­telligente permettrait d’économiser beaucoup de béton. «On ne doit pas le diaboliser, mais l’utiliser à bon escient.» 

Le chemin vers la production de masse est encore long

Les spécialistes sont sceptiques quant à un abandon total du béton, car il est difficile à remplacer pour certaines utilisations comme les fondations. Et ses ingrédients – le ciment, le sable et le gravier – sont disponibles partout à moindre coût. 
Impossible d’éviter les rejets de CO2 pendant l’étape de fabrication du ciment où la cuisson de calcaire produit le clinker. Le rêve de ciment «zéro net» semble bien inaccessible, malgré les améliorations du processus. À l’Empa de Dübendorf (ZH), le chimiste Frank Winnefeld mène des recherches sur des variétés de ciment qui émettent peu de CO2. L’approche la plus prometteuse à court terme consiste, selon lui, à mélanger le calcaire avec des matériaux plus respectueux du climat, par exemple des argiles, des scories ou des cendres provenant de fours à fer et à charbon, ou des matériaux contenant du magnésium. À plus long terme, on pourrait même enrichir le béton en CO2 afin d’améliorer son empreinte climatique. Une jeune entreprise suisse teste déjà de tels procédés. Le béton recyclé proposé par une société zurichoise présente également un meilleur bilan de gaz à effet de serre. D’après M. Winnefeld, il faudra encore du temps avant de pouvoir produire en masse des ciments pauvres en CO2. 
D’autres idées viennent à la rescousse: cesser de construire à neuf ou réutiliser systématiquement les matériaux des bâtiments existants. La grande inertie du secteur de la construction le tient bien éloigné d’une réduction drastique de son empreinte climatique, «mais il a définitivement intégré le sujet du climat», relève l’architecte Roger Boltshauser. «L’empreinte climatique est devenue un critère important pour les maîtres d’ouvrage institutionnels», ce qui – selon lui – n’était pas le cas il y a seulement quelques années.
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