Quarante ans après sa naissance, la coopérative ADEV détient 140 installations décentralisées qui fournissent de l’énergie hydraulique, éolienne, solaire ou thermique. Cela entre autres grâce à des crédits de la Banque Alternative Suisse (BAS). La petite hydroélectricité assure deux cinquièmes de sa production annuelle.
Il y a cinquante ans, des activistes écologistes ont occupé le site de Kaiseraugst où l’on prévoyait de construire une centrale nucléaire. Les deux cantons de Bâle ont inscrit dans leur constitution, en 1978 et 1979, l’obligation de s’opposer à l’énergie nucléaire sur leur territoire ou à proximité. Trois douzaines de militantes et militants antinucléaires à la recherche d’alternatives ont fondé le 18 avril 1985 – soit dix ans après l’occupation de Kaiseraugst – la communauté de travail pour un approvisionnement énergétique alternatif et décentralisé (aujourd’hui ADEV Coopérative d’énergie), à Liestal. «L’activisme et l’idéalisme dominaient alors, mais l’électricité renouvelable en était à ses balbutiements. On la tournait souvent en ridicule», se souvient Thomas Tribelhorn, directeur d’ADEV. Tout a commencé avec une éolienne au centre écologique de Langenbruck. Elle fut la première turbine en Suisse à injecter du courant dans le réseau, ce que la compagnie d’électricité concernée avait auparavant déclaré comme techniquement impossible.
Les renouvelables sous un même toit
Aujourd’hui, ADEV est reconnue par les gestionnaires de réseau établis et les communes. Il aura fallu des années avant qu’elles et ils considèrent les jeunes rebelles de Liestal comme de véritables partenaires. Beaucoup de choses se faisaient assez spontanément au début, se souvient Eric Nussbaumer, ancien directeur. Il a écrit, dans la publication qui a célébré le 25e anniversaire de la coopérative en 2010: «Quand j’ai pris mes fonctions en 1988, le modèle commercial n’était pas encore clairement défini et j’étais alors le seul employé.» En 1991, l’arrêté fédéral sur l’énergie a permis d’obtenir pour la première fois des subventions destinées au photovoltaïque. Eric Nussbaumer a saisi cette occasion pour ADEV. Outre les énergies du vent et du soleil, celle-ci s’est mise à exploiter la petite hydroélectricité et à créer des réseaux de chaleur. Les différentes technologies ont été, depuis lors, réparties entre quatre sociétés anonymes indépendantes, toutes chapeautées par la coopérative d’énergie. Les petites centrales hydrauliques jouent un rôle de premier plan: en 2024, elles ont représenté 44 pour cent de la production, soit 17,4 millions de kilowattheures.
Thomas Tribelhorn, qui copréside également les Verts libéraux de Bâle-Campagne, sait que les pionnières et pionniers doivent payer le prix fort. Cet économiste d’entreprise, âgé de 55 ans, a construit en 2013 une maison à énergie positive et a installé à grands frais des batteries de stockage, que l’on peut acquérir aujourd’hui pour bien moins cher. «ADEV est l’endroit idéal où mettre en œuvre la transition énergétique, ma principale préoccupation politique», résume-t-il. Pour en revenir aux batteries de stockage, ADEV a reçu en 2019, avec la fondation Habitat, le prix «Watt d’Or» de l’Office fédéral de l’énergie pour le projet «Erlenmatt Ost» à Bâle. Ce dernier a permis de tester l’impact de deux voitures électriques équipées de batteries bidirectionnelles dans un immeuble. M. Tribelhorn s’attend à ce que le stockage de l’électricité prenne de plus en plus d’importance pour ADEV.
Engagement social, succès économique
ADEV finance ses projets en émettant des parts sociales et des actions, ainsi qu’en contractant des emprunts auprès de quelque 2300 particuliers et des banques, dont la BAS. Thomas Tribelhorn aime à le rappeler: «Nous partageons des valeurs importantes avec la BAS. ADEV ne vise pas non plus la maximisation des profits.» C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a cofondé Social Entrepreneurship Suisse (SENS). La BAS propose en outre des conditions très attractives. ADEV est durable jusque dans sa prévoyance vieillesse: elle a été la première cliente à adhérer à la caisse de pension éthique Abendrot, fondée elle aussi il y a quarante ans.
Thomas Tribelhorn est suffisamment doué avec les chiffres pour veiller à l’équilibre des comptes. ADEV et ses cinq filiales sont toutes bénéficiaires depuis 2021. Parmi elles, Willy Gysin SA, une entreprise d’installation électrique de Liestal, a été rachetée alors qu’elle était en difficulté financière dans les années 2010. La coopérative a pu la réorienter vers le photovoltaïque.
Décentralisée et démocratique
La puissance photovoltaïque installée fin 2023 atteignait 13 mégawatts. Plusieurs nouvelles installations photovoltaïques ont vu le jour au cours des quinze derniers mois, augmentant la puissance de 50 pour cent. La croissance ne devrait pas continuer à un rythme si rapide, précise Thomas Tribelhorn. On peut envisager deux à trois mégawatts par an. La coopérative reçoit régulièrement des propositions pour reprendre ici ou là une petite centrale hydroélectrique. Elle s’efforce de rendre les centrales existantes praticables pour les poissons: la loi sur la protection des eaux stipule que les obstacles à la migration piscicole doivent disparaître dans toute la Suisse d’ici 2030, la Confédération assumant le financement. ADEV étudie aussi la réalisation de nouvelles petites centrales hydroélectriques, sur la Birse par exemple. «Autant avec Pro Natura – qui participe à ADEV par le biais d’un prêt direct – qu’avec le WWF, nous cherchons à discuter de chaque nouveau projet afin de nous mettre d’accord sur des mesures compensatoires ou d’autres compromis», souligne M. Tribelhorn. ADEV passe à l’offensive en matière d’énergie éolienne: elle vient de créer un poste à plein temps pour soutenir professionnellement l’installation de turbines à vent. Et M. Tribelhorn s’attend à un véritable essor dans le domaine de l’éco-chaleur, car «de nombreuses communes visent le zéro net.» Au bois, ADEV préfère désormais la chaleur industrielle résiduelle, issue par exemple de stations d’épuration des eaux usées. Elle s’est lancée dans l’aventure, notamment avec un projet à Bâle-Ville. Enfin, la coopérative installe à grande échelle des sondes géothermiques. Elles utilisent l’électricité produite par des panneaux photovoltaïques placés sur le toit des bâtiments concernés.
Son portefeuille diversifié d’énergies renouvelables rend ADEV unique en Suisse, ainsi que son directeur aime à le rappeler. Rares sont les fournisseurs d’énergie de ce pays à être organisés aussi démocratiquement. Une part sociale de la coopérative vaut 500 francs, une action un peu moins. Mais de toute façon, la grande majorité de ses investisseuses ou investisseurs et de ses coopératrices ou coopérateurs ne se préoccupe guère des dividendes. Comme au moment de la création d’ADEV, elles et ils sont nombreuses et nombreux à y investir pour des raisons idéologiques.
Pieter Poldervaart est journaliste indépendant au sein du bureau de presse bâlois Kohlenberg.
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