Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’assurance maladie (LAMal) en 1996, toute personne vivant en Suisse est obligée de s’assurer contre la maladie. Les primes de l’assurance de base sont devenues indépendantes de l’âge (dès 26 ans) et du sexe. Les femmes et hommes plus âgé-e-s ne paient donc plus systématiquement un montant supérieur. Voilà pour la bonne nouvelle. Et l’autre? Eh bien, la moyenne mensuelle a presque triplé depuis l’introduction de la loi, passant de 128 à 360 francs par assuré-e l’an dernier. Une augmentation considérable. Les primes ont encore grimpé début 2025 et la tendance devrait persister.
Les caisses d’assurance maladie fixent leurs primes une fois par an en fonction des coûts prévisibles. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) doit les approuver avant qu’elles entrent en vigueur. Le renchérissement de ces dernières années résulte directement de la hausse des coûts de la santé. Avec de multiples raisons, ainsi que l’explique Simon Wieser, professeur à l’Institut d’économie de la santé de la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), à Winterthour. Selon lui, à peu près un tiers de l’augmentation est lié au vieillissement démographique de la population. Les personnes âgées entraînent des coûts plus élevés et souffrent souvent de plusieurs maladies à la fois. Toutefois, environ deux tiers du renchérissement tiennent au fait que tout le monde – y compris les jeunes – recourt davantage aux services médicaux. «Les progrès de la médecine jouent aussi un rôle, mais nous ignorons dans quelle mesure exactement», ajoute notre spécialiste.
Des prestations coûteuses et inutiles
De nombreuses hausses de coût, par exemple pour le traitement des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux, reflètent de grandes améliorations pour les personnes touchées: elles peuvent vivre plus longtemps et plus agréablement, même malgré certaines restrictions. Pourtant, selon M. Wieser, beaucoup de prestations médicales sont inutiles. Hôpitaux et cabinets médicaux ne baissent pas leurs prix quand la demande diminue, comme cela devrait se produire dans un marché idéal. Ils réagissent plutôt en multipliant les tests et traitements (lire aussi «Le système de santé est un échec»).
D’après Simon Wieser, on ferait par exemple trop d’examens de laboratoire ou d’imageries médicales, comme avec l’IRM. Les opérations, notamment des genoux et des épaules, seraient trop nombreuses. Il cite l’arthroscopie du genou pour donner un exemple. Selon lui, «les traitements conservatoires tels que la physiothérapie s’avèrent souvent plus efficaces». L’économiste de la santé estime que les interventions peu invasives comme celles-ci entraînent ces coûts inutiles à hauteur de 15 à 20 pour cent de l’ensemble des prestations de santé, tandis que d’autres spécialistes avancent jusqu’à 30 pour cent.
L’OFSP tente de retirer des prestations inutiles de l’assurance de base. La LAMal stipule que les prestations doivent être «efficaces, appropriées et économiques» pour être prises en charge par cette assurance. Malgré cela et comme le montre clairement un rapport du Contrôle fédéral des finances, on n’a pu économiser que 25 millions de francs par an au lieu des 200 millions escomptés. Les fabricants et associations professionnelles ont fait barrage à de nombreuses suppressions.
Une caisse publique serait efficace
Il n’y a rien d’étonnant à ce que les coûts élevés de la santé fassent régulièrement l’objet de débats politiques et que de nombreuses initiatives populaires aient voulu y remédier. Près des deux tiers des votant-e-s ont rejeté, l’an passé, une initiative du centre visant à freiner les coûts et à restreindre l’accès aux soins de santé. Après plusieurs échecs dans les urnes, le Parti socialiste (PS) abandonne l’idée d’une caisse unique publique. Elle consistait – entre autres – à réduire les coûts administratifs et de marketing des caisses. Alors que 62 pour cent des votant-e-s ont refusé la dernière tentative en 2014, le PS a choisi en été 2023 de s’y prendre autrement. Il propose donc de créer des caisses d’assurance maladie publiques cantonales, qui pourraient se regrouper. De plus, les primes d’assurance maladie ne devraient pas excéder dix pour cent du revenu disponible.
Depuis la votation sur une caisse publique en 2014, les choses n’ont fait qu’empirer, estime Mattea Meyer, coprésidente du PS Suisse et députée au Conseil national: «La pseudo-concurrence entre caisses gonfle inutilement les coûts. Les assurées et assurés financent les frais administratifs et publicitaires élevés avec leurs primes.»
Selon les spécialistes de la santé, les caisses dépensent quelque 200 francs par personne assurée et par an pour l’administration, soit environ 5 pour cent des primes. Notre politicienne admet que ce chiffre n’est pas énorme, mais elle les considère tout de même comme «inutiles». Et le système pose d’autres problèmes: «Quand une caisse mise sur la prévention, cela commence par faire augmenter les primes», avec pour conséquence le départ d’assuré-e-s vers d’autres caisses moins chères. De l’avis de Mme Meyer, une caisse publique pourrait se consacrer bien plus efficacement à la prévention des maladies, comme le fait la Suva pour les accidents, par exemple. Elle serait en outre une actrice puissante dans les négociations tarifaires.
Pour Mattea Meyer, le lancement de la nouvelle initiative n’est pas encore d’actualité, même s’il est clair que la caisse publique et le financement solidaire seront traités dans deux projets de loi distincts. Le lancement devrait avoir lieu au plus tôt en 2026.
Autres pays, autres systèmes
Comment les assurances maladie sont-elles organisées dans d’autres pays? La Suisse aurait tort de prendre les États-Unis pour modèle. Bien qu’une initiative en matière de santé lancée sous la présidence de Barack Obama (Obamacare) ait permis à beaucoup d’Étasuniennes et Étasuniens d’obtenir une couverture maladie, de nombreuses personnes en restent exclues. Les caisses sont pour la plupart privées et, en raison des coûts élevés et d’autres obstacles, des millions de citoyennes et citoyens ne bénéficient toujours pas d’une couverture maladie.
Le système le plus proche du nôtre est celui de l’Allemagne. Une centaine de caisses s’y font concurrence. Il s’agit toutefois d’établissements de droit public, financé par les impôts ainsi que par les cotisations des salarié-e-s et employeurs-ses. Contrairement à la Suisse, les primes en Allemagne ne sont pas uniformes pour les adultes (primes individuelles). Celles et ceux qui le souhaitent peuvent aussi s’assurer à titre privé, ce qui permet généralement d’attendre moins longtemps avant d’obtenir un rendez-vous. Simon Wieser précise que la part des coûts de santé dans le produit intérieur brut allemand est à peu près identique à la Suisse (12 pour cent).
Exemplaire, le Danemark?
Au Danemark, il y a une seule assurance maladie publique pour toute la population. Elle est financée principalement par le gouvernement central, le reste provenant des municipalités. Le Danemark mise sur des super-hôpitaux fortement centralisés et sur la numérisation du système de santé. Cependant, les délais d’attente pour les traitements hospitaliers sont parfois longs.
Le système de santé danois peut-il servir de modèle à la Suisse? Oui, en ce qui concerne le financement des dépenses de santé par les impôts, d’après Mattea Meyer. «Chez nous, les ménages paient de leur poche plus de 60 pour cent des prestations de santé, quel que soit leur revenu. Aucun pays de l’OCDE n’est aussi peu solidaire.» L’an dernier, la population a voté sur une initiative du PS qui visait à plafonner la charge à 10 pour cent du revenu des assuré-e-s. Elle a tout de même récolté 45 pour cent de «oui». Mme Meyer, qui n’avait encore jamais vu son parti obtenir un si bon résultat avec une initiative sur la santé, veut donc continuer y à travailler.