Depuis soixante ans, les stations d’épuration ont permis à nos rivières et lacs de se refaire une santé. Mais on peut améliorer le système d’évacuation des eaux usées. Tel est justement le credo de l’entreprise upwater. Lancée en 2022, elle cherche à réduire l’impact climatique et la consommation d’électricité dans le traitement des eaux usées. Elle a pu perfectionner sa technique de mesure grâce à un prêt de l’association Fonds d’innovation de la Banque Alternative Suisse (BAS).
Le carré en plastique noir d’un mètre de côté ressemble à la hotte d’aspiration d’une grande cuisine. Il est maintenu par des cordes en nylon au-dessus d’un bassin de décantation de la station d’épuration de Kloten-Opfikon. Un câble électrique et un fin tuyau la relient à son boîtier de commande. Celui-ci, haut d’un mètre et demi, est placé sur la passerelle d’où l’on peut observer tous les bassins de décantation. Cette installation d’apparence un peu bricolée se trouve au cœur d’un processus qui pourrait bien rendre le traitement des eaux usées nettement plus respectueux du climat.
Composition : incertaine
Nonante-sept pour cent des ménages suisses ont été raccordés à une station d’épuration des eaux usées (STEP) au cours des soixante dernières années. La technologie reste pourtant améliorable. Alors que la production de denrées alimentaires ou de médicaments, par exemple, est suivie au gramme près, l’élimination des résidus demeure peu claire par nature. La composition des eaux usées est imprévisible, ce qui a un impact sur les processus biologiques et chimiques des bassins de décantation. Dans ces cuves en béton pouvant retenir plusieurs milliers de mètres cubes, des micro-organismes naturels décomposent les nutriments contenus dans les eaux usées. Ils se transforment principalement en azote, dioxyde de carbone, biomasse et eau. « Mais l’air évacué contient aussi à peu près 0,5 pour mille de protoxyde d’azote – ou gaz hilarant –, environ 300 fois plus nocif pour le climat que le CO2 », explique Remo Jörg. Ce spécialiste des processus techniques a été chef de projet dans le secteur des eaux usées pendant 20 ans. Il a rejoint upwater au début de l’année. La société, fondée en 2022, émane de l’Eawag, institut de recherche sur l’eau du domaine des EPF. M. Jörg sait à quelle vitesse la composition des eaux usées peut changer, ne serait-ce que lorsqu’une entreprise industrielle raccordée rejette des effluents en quantité. Il connaît également l’incidence des variations saisonnières de température sur la teneur de certains micro-organismes (ce que l’on appelle le microbiome). « Avec upwater, nous en apprenons davantage sur les eaux usées et pouvons donc réduire leur impact sur le climat. »
L’air extrait sert d’indicateur
La production et le rejet de protoxyde d’azote, par exemple, se régulent avec la quantité d’oxygène injectée dans le bassin de décantation. « On l’aère généralement à intervalles réguliers, mais il faut parfois davantage d’air pour inhiber autant que possible la formation de protoxyde d’azote. Notre méthode permet d’abaisser les émissions jusqu’à 80 pour cent », explique M. Jörg. Les bassins de décantation se trouvant à ciel ouvert, une hotte aspirante est nécessaire pour enregistrer les variations du gaz. upwater a récemment perfectionné différents détails grâce à un prêt du Fonds d’innovation. En laissant le dispositif de mesure sur place pendant une longue période, idéalement plusieurs années, on peut documenter l’effet d’une aération modulable. Le boîtier en métal analyse en continu le mélange gazeux des bassins de décantation raccordés (jusqu’à quatorze). Il a été conçu par l’Eawag et amélioré par upwater. Une douzaine de ces appareils est en service dans des stations d’épuration helvétiques. Les capteurs et pompes proviennent d’Allemagne. Une PME suisse assemble les unités et le système de commande selon les instructions d’upwater. Des spécialistes de l’entreprise viennent sur place pour l’installation, puis traitent les données en ligne.
Durée de vie prolongée pour les membranes
Le fédéralisme suisse se reflète jusque dans le traitement de ses eaux usées : sur les 800 stations d’épuration du pays, il n’en existe que deux identiques. Comme le précise Jonas Ruggle, cofondateur de l’entreprise, « nous devons donc déterminer au cas par cas où il est judicieux de prélever des échantillons et combien de temps doit durer une série de mesures. » Certaines STEP acquièrent les appareils et les installent à demeure. Elles bénéficient de subventions de la fondation climatique KliK quand l’équipement réduit l’émission de gaz à effet de serre. D’autres préfèrent mener une campagne de mesure de trente jours avec des appareils loués. Une approche qui, pour M. Ruggle, peut s’avérer intéressante à la fois écologiquement et financièrement : elle permet de connaître le microbiome ainsi que l’état de la membrane à travers laquelle de l’air est régulièrement injecté dans le bassin de décantation. « Jusqu’alors, c’était le fabricant de ces tapis en caoutchouc perforés qui indiquait leur durée de vie. Notre analyse de l’air évacué dit si les membranes restent utilisables », détaille M. Ruggle. On peut ainsi les laisser en place parfois plusieurs années supplémentaires. À la clé, des économies d’argent et une diminution du volume de déchets.
Bonnes et mauvaises bactéries
Outre l’air évacué, upwater examine également le microbiome lui-même. Elle a développé dans ce but son propre système de biosurveillance, basé sur l’analyse de l’ADN. Un échantillon est prélevé chaque semaine dans le bassin de décantation et observé dans le laboratoire de l’entreprise. Les résultats indiquent si la composition des bactéries est inhabituelle et s’il faut corriger le fonctionnement de l’installation pour améliorer la purification. En étudiant les eaux usées de plusieurs STEP, upwater peut tirer plus rapidement des conclusions. Elle remet ensuite des suggestions aux exploitants sur la façon de remédier à une composition bactérienne insatisfaisante.
L’entreprise a fait ses premiers pas à l’étranger, notamment en Allemagne, au Danemark et en Écosse. Au Danemark, une loi sur la réduction du protoxyde d’azote a incité les exploitants de stations d’épuration à s’adresser à upwater. En Suisse, le contexte favorable tient à une combinaison d’engagement en faveur de la protection du climat, de volonté de rejeter des eaux usées aussi propres que possible et de recherche d’économies. Car injecter trop d’air dans les eaux usées consomme beaucoup d’électricité, ce qui n’est pas idéal non plus pour le climat. Jonas Ruggle insiste sur l’importance de réguler l’aération en fonction de la charge. Les pompes à air peuvent tourner à bas régime pendant la nuit, quand le volume d’eaux usées est moindre : « Une station d’épuration optimalisée de cette manière voit baisser sa facture d’électricité jusqu’à dix pour cent. »
Informations détaillées sur :
upwater.ch (en allemand)
Pieter Poldervaart est journaliste indépendant au sein du bureau de presse bâlois Kohlenberg.
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