Grandir en musique

«Essayons un peu moins vite», propose Laida Alberdi à ses treize élèves dans une classe de l’école Heumatt à Zurich-Seebach. Vu l’imminence des vacances d’automne, quelques jeunes manquent à l’appel, ce jeudi ; les autres semblent turbulents et déconcentrés. D’ailleurs, la directrice de l’orchestre Superar Suisse de Zurich demande le calme à ses disciples, qui jouent qui de l’alto, du violon ou du violoncelle. Tout le monde se reprend. Au programme, «La marche de Radetzky» de Johann Strauss. Les onze filles et deux garçons de 10 à 14 ans découvrent cette composition. Rien de surprenant, dès lors, à ce que certains passages soient encore dissonants et à ce que les yeux ne quittent pas les partitions.

«Je tiens à ce que les jeunes participent avec enthousiasme et fassent des progrès», souligne Mme Alberdi. «Peu m’importent les fausses notes: l’essentiel est que les enfants fassent de la musique.» La violoniste originaire de San Sebastián, au Pays basque, dirige l’orchestre Superar Suisse de Zurich depuis 2013. Celui-ci fait partie de l’association éponyme, créée voilà cinq ans. Son nom est déjà tout un programme, car en espagnol, le mot «superar» évoque le franchissement de frontières et le dépassement de soi.
Au-delà du plaisir de jouer de la musique ensemble, l’idée est d’ouvrir de nouvelles perspectives, qui resteraient sinon hors de portée. Superar s’adresse en particulier à des enfants et ados provenant de milieux socioéconomiques défavorisés, sans accès à la musique classique ni même à une simple éducation musicale. Beaucoup sont issus de la migration. L’organisation tient beaucoup au mélange des cultures: les jeunes qui suivent actuellement les cours ont 24 langues maternelles différentes.
Superar trouve son origine à Vienne, où a vu le jour, en 2009, la première association de ce genre en Europe occidentale – entre autres par le Konzerthaus et les Petits chanteurs de Vienne. Depuis lors, Superar existe en Autriche et en Suisse ainsi que dans d’autres pays européens comme la Roumanie et la Slovaquie. Elle est donc devenue un réseau international vivant. Les associations européennes Superar se sont inspirées d’ «El Sistema», une initiative de l’Etat vénézuélien lancée par le compositeur, économiste et éducateur José Antonio Abreu en 1975. Il a eu l’idée d’utiliser la musique à des fins de formation et de stabilisation sociale. Des musiciennes et musiciens devaient transmettre leurs connaissances à des enfants venant d’un milieu défavorisé. Le violoniste et chef d’orchestre vedette Gustavo Dudamel, 36 ans, est issu d’«El Sistema». Il incarne parfaitement la passion du Venezuela pour la musique classique. A propos de cette initiative, il affirme qu’«on ne peut diriger un orchestre symphonique que comme une équipe, et c’est aussi en équipe que doit commencer l’apprentissage de la musique.»

Desirée Angst fait aussi partie des quelque 400 enfants et ados qui suivent les cours de Superar Suisse. Une enseignante de l’école Heumatt lui a parlé de cette possibilité, raconte la jeune fille de 12 ans, qui joue du violon depuis 2013. Elle a encore parfois le trac lors de grands concerts, «mais presque plus pendant les petits». La pause est fi nie. Desirée reprend sa place, son violon, et attend les instructions. Laida Alberdi sourit brièvement à la ronde et commence à diriger les jeunes musiciennes et musiciens avec son archet. A peine les premières notes du «Guillaume Tell» de Rossini s’envolent-elles qu’elle stoppe le mouvement et explique : «Il faut que vous suiviez bien le tempo.» Il est près de six heures et demie quand la musique commence à sonner de plus en plus juste. Peu de temps avant le coup d’essai, Laida Alberdi rappelle aux élèves qu’un examen les attend en 2018. Celles et ceux qui le réussiront pourront participer au concert qui suivra, au KKL de Lucerne. Avant les vacances, elle prend congé de ses élèves en les encourageant: «Bravo, vous faites des progrès!» Avant de rentrer elle aussi à la maison, la cheffe d’orchestre confie: «Il faut absolument avoir de la patience. Tant pis si ça ne marche pas cinq fois de suite. C’est d’autant mieux si ça fonctionne la sixième.»
Le directeur Marco Castellini est confiant quant à l’avenir de Superar Suisse: «Nous sommes assez étonnés par notre succès jusqu’à ce jour. Il y a sans arrêt de nouvelles écoles qui nous signalent que notre offre les intéresse, qu’elles voudraient la proposer à leurs élèves.» Mais avant d’essaimer, Superar Suisse doit assurer son financement à aussi long terme que possible. M. Castellini est fi er de ce dont sont déjà capables les enfants et ados qui participent à l’aventure. «Il n’y a qu’un mot pour décrire ce qu’elles et ils donnent à chaque concert: waouh!»