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19.06.2020 par Katharina Wehrli

«Je pars plein de gratitude»

Président de la direction de la Banque Alternative Suisse depuis 2012, Martin ­Rohner la quitte fin juin pour prendre la direction opérationnelle de la Global Alliance for Banking on Values (GABV). Dans cette entrevue d’adieu, nous évoquons l’évolution de la BAS ces dernières années, la compréhension de la durabilité sur la place ­financière suisse ainsi que l’impact de la crise sanitaire sur les banques basées sur des valeurs éthiques.


Article de la BAS
Passages de témoin multiples en février 2020, à Berne: lors de la réunion annuelle de la Global Alliance for Banking on Values (GABV), Martin Rohner remet le «bâton de parole» à Selim Hussain, PDG de la banque BRAC, au nom de la BAS qui officie comme hôte
moneta: Martin Rohner, pour quelles raisons quittes-tu la BAS après huit ans passés à la présidence de sa direction?
Martin Rohner: C’est le bon moment pour moi et pour la BAS. Dans un organe de direction, il faut bien ­doser la constance et le renouvellement. J’ai pu réaliser de nombreuses choses ces huit dernières années, mais la BAS entre actuellement dans une nouvelle phase où elle a besoin d’idées fraîches. À 54 ans, je dois bien réfléchir à ce que je veux encore faire. Vu que j’ai toujours travaillé auparavant à l’échelle internationale, rejoindre la GABV – le réseau mondial des principales banques durables – apparaît comme une transition naturelle dans ma carrière.

À cause de la crise sanitaire, tu n’as pas pu dire au revoir personnellement à beaucoup de collaborateurs, collaboratrices ou actionnaires. Comment le ressens-tu?
Les dernières semaines ont été étranges. Je n’ai presque pas vu mon équipe et, maintenant encore, j’ignore qui je reverrai personnellement. Il est vraiment dommage que nous ayons dû reporter la fête du trentième anniversaire de la BAS à l’année ­prochaine. J’aurais aimé serrer la main de nos actionnaires. Je m’en vais empli de gratitude à l’égard des personnes qui permettent à la BAS d’exister: mon équipe, notre clientèle et notre actionnariat, qui nous ont soutenus même dans les moments difficiles tout en stimulant notre progression.

Qu’est-ce qui a changé entre la BAS de 2012 et celle d’aujourd’hui?
Elle s’est ouverte, elle a beaucoup grandi et elle a gagné en maturité. La nouvelle identité visuelle a été le premier coup d’éclat, qui a affirmé publiquement la perception que nous avons de nous-mêmes. Sont venus ensuite les nouveaux bureaux à Lausanne, Genève et Zurich, sans oublier la nouvelle stratégie internationale. Nous comptons actuellement près de 40 000 clientes et clients, et plus de 8000 actionnaires. Le total du bilan et des crédits a doublé, les fonds propres ont même triplé, et notre effectif a augmenté de moitié. Aujourd’hui, le conseil en pla­cement a pris beaucoup d’importance. Nous avons professionnalisé la gestion de fortune et lancé le premier fonds de placement BAS. Nous avons également révisé les lignes directrices en matière de placement et de crédit, et introduit des rapports exhaustifs sur la durabilité.

Tu as dit que la BAS entrait dans une nouvelle phase. Pourquoi?
Étant donné la persistance des taux d’intérêt bas, peaufiner ce que nous avons accompli jusqu’à ce jour ne suffit plus: nous devons déployer de nouvelles idées commerciales. On peut prédire que la numérisation va bientôt couvrir tous les domaines de l’ac­tivité bancaire. Par ailleurs, notre progression a influé sur notre culture d’entreprise et sur sa gouvernance ainsi que sur notre identité. La BAS doit maintenant faire une pause pour redéfinir ses valeurs et sa vision à l’interne. J’ai dû me poser la question: est-ce que je veux repartir plein gaz ou faire de la place à quelque chose de neuf?

Tu vas devenir directeur exécutif de la Global Alliance for Banking on Values. Quelles tâches t’attendent?
Depuis sa création en 2009, la Global Alliance for Banking on Values (GABV) a connu une progression rapide et réunit aujourd’hui 62 banques du monde entier, qui orientent avec cohérence leur modèle d’affaires vers des besoins sociaux et écologiques. Un tel réseau recèle un énorme ­potentiel pour apprendre mutuellement, qu’il s’agisse de travailler de concert ou d’inciter d’autres entreprises à adopter nos principes et objectifs. C’est cela que nous visons dans le cadre de la stratégie 2023. Ma mission consistera à en­courager le dialogue et la collaboration entre les membres, mais également à positionner la GABV en tant que modèle bancaire durable dans le monde ­financier, auprès des auto­rités comme des organisations et initiatives interna­tionales.

La BAS a accueilli la réunion annuelle de la GABV en février, à Berne. Le point fort fut une conférence organisée conjointement avec le WWF. Outre les banques membres de la GABV, des représentantes et représentants de la place financière suisse y ont participé. Comment résumerais-tu cette assemblée?
L’activité bancaire à orientation sociale et éco­logique est récemment devenue un sujet de réflexion dans le secteur financier. Hélas, beaucoup de banques abordent la question sous un angle stratégique restreint, c’est-à-dire en se demandant comment les activités durables peuvent leur faire gagner encore plus d’argent. Elles en oublient de se poser cette question fondamentale: en qualité de banque, que faisons-nous pour contribuer à rendre le monde plus durable et plus social? J’ai trouvé intéressant de voir comment nous avons réuni des gens très différents: PDG bancaires, jeunes en faveur du climat, personnalités issues des sphères politique et scientifique. Elles et ils ont échangé sous plusieurs formes, et j’ai eu le sentiment qu’une nouvelle prise de conscience du problème apparaissait également parmi les représentantes et représentants d’instituts bancaires bien établis. Je suis particulièrement heureux que le dialogue continue, aussi bien avec les autres banques qu’avec la jeunesse pour le climat.

Si toute la place financière suisse devient plus durable, quel rôle la BAS pourra-t-elle encore jouer?
Notre rôle doit consister à mettre le doigt sur les questions sensibles, car on peut craindre un grand risque d’écoblanchiment — autrement dit, de voir les banques se contenter de repeindre en vert leurs ­relations publiques. Il est donc important que la BAS participe à la discussion avec les autres établissements et s’implique. L’évolution de ces dernières années nous en a rendus capables. La BAS a été invitée à parler d’activité bancaire durable avec l’Association suisse des banquiers et à présenter son modèle ­d’affaires lors de conférences bancaires traditionnelles. Cela montre que l’on nous prend davantage au sérieux qu’il y a quelques années.

Tu as fortement marqué la BAS. À l’inverse, qu’emmènes-tu avec toi à la GABV?
Pas mal de cheveux gris et encore plus de bons ­souvenirs! J’ai beaucoup appris à la BAS; elle continuera à m’inspirer dans mon travail. Dans le réseau de la GABV, elle est l’une des banques les plus ambitieuses en matière d’orientation sociale et écologique et de réflexion éthique. Elle restera donc une référence importante dans mes tâches à venir.

Nous vivons les prémices d’une crise économique mondiale. Quels en sont les dangers pour les banques basées sur des valeurs éthiques?
Les dangers sont les mêmes pour toutes les banques: les risques de crédit augmentent, les liquidités ont partiellement diminué et les bénéfices vont fondre. Dans l’ensemble, toutefois, les membres de la GABV ­seront légèrement mieux placés que les autres banques, car leur résilience dépasse la moyenne. Leur capitalisation est meilleure et leur clientèle souvent très fidèle. Contrairement à la plupart des autres banques qui ont beaucoup souffert des ventes paniques de titres, la BAS n’en a vu quasiment aucune. Ce qui me préoccupe beaucoup, en revanche, est la situation au Sud: de ­nombreux pays vont perdre des années, voire des décennies dans leur lutte contre la pauvreté, ce qui posera de gros problèmes aux banques qui y sont actives.

Quelles en sont les conséquences pour la GABV?
Il sera encore plus important de collaborer. Dans la ­situation actuelle, pouvoir échanger avec des banques partageant les mêmes idées et avec lesquelles nous ne sommes pas en concurrence s’avère extrêmement précieux. Nous apprenons les unes des autres. Nous distinguons bien plus rapidement des perspectives et des pistes de solutions. Pour ce qui est de la collaboration concrète, on peut imaginer que des banques de pays comme la Suisse – où le niveau de liquidités reste relativement élevé – mettent des fonds à disposition d’établissements dans des pays du Sud.

Selon toi, à quoi la GABV ressemblera-t-elle dans dix ans?
J’ai pour objectif sa reconnaissance dans le monde entier en tant que réseau des principales banques ­durables et orientées vers des valeurs éthiques. Que de plus en plus de banques adhèrent à la GABV et choisissent de travailler selon ses principes. Au sein du ­réseau, il est prévu d’instaurer un échange vivant et une collaboration étroite, qui feront de nous bien plus que la simple somme de nos membres. J’espère qu’en gagnant en visibilité et en portée, la GABV inspirera d’autres actrices et acteurs – par exemple les banques traditionnelles – à s’engager plus sincèrement pour l’avenir de notre planète.

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