593
22.09.2021 par Esther Banz

Économie à la demande: la voie différente de deux jeunes entreprises

Livraison de repas ou location de véhicules sont souvent synonymes d’emplois précaires, surtout dans l’économie à la demande. Crowd Container et Urban Connect, deux entreprises soutenues par l’association Fonds d’innovation de la Banque Alternative Suisse (BAS), proposent des services dans ces domaines, mais de manière très différente. Pourquoi?


Article de la BAS
Article du thème Économie à la demande
Judith Häberli était encore étudiante en économie lorsque les embouteillages quotidiens sur les routes zurichoises l’ont amenée à s’interroger sur le sens de cette mobilité fondée sur l’expansion urbaine et très polluante. La jeune femme a alors choisi d’y consacrer ses connaissances, son énergie et son ambition. «Cette forme de mobilité, où pratiquement chaque voiture ne transporte qu’une personne et où plein de gens arrivent au travail à bout de nerfs, m’a paru très inefficace, tant du point de vue de la planification des transports que des entreprises qui emploient ces pendulaires stressé-e-s. J’ai voulu faire quelque chose pour y remédier.» Après tout, plus de la moitié des déplacements sont professionnels. Avec son associé et cofondateur, Mme Häberli a calculé que les grandes entreprises disposant de leur propre flotte de véhicules constitueraient le plus gros levier. ­Voilà comment Urban Connect a vu le jour, en 2013. «Nous proposons aux entreprises une solution de mobilité interne et écologique, au moyen d’une application conçue sur mesure.»
Urban Connect propose aux entreprises une mobilité électrique pour leur personnel, à l’échelle de toute leur flotte. Elle contribue ainsi à diminuer le trafic auto­mobile en ville. Photo: màd

Qualité et confiance plutôt que petits boulots

Urban Connect a d’abord proposé uniquement des ­vélos mécaniques et électriques à la location. Désormais, son offre s’étend aussi à d’autres véhicules à réserver, ­ouvrir et verrouiller au moyen de l’application. Celle-ci permet également de signaler les besoins en maintenance. Urban Connect compte aujourd’hui une vingtaine d’employé-e-s et une trentaine d’entreprises clientes, dont plusieurs de grande envergure comme Hilti, Roche et Zurich Assurances. 
Pour réduire les coûts, la récupération des vélos et trottinettes électriques, notamment, aurait pu être ­externalisée sous forme de micro-emplois, mais Urban Connect n’a pas voulu se lancer dans cette direction: «Nous installons des chargeurs chez notre clientèle. Avec une autonomie de 80 kilomètres, pas besoin de ­recharger les vélos électriques en route. Et de toute ­façon, les trottinettes électriques sont utilisées principalement sur les sites de grandes entreprises.» 
Urban Connect confie les tâches d’entretien à un ­mécanicien qu’elle a engagé. Elle collabore avec d’autres sur la base de contrats fixes, pour des raisons éthiques, mais aussi parce que ce travail implique une grande confiance de la part de la clientèle. Comme l’explique Judith Häberli, «nos mécaniciens connaissent les vé­hicules, ce qui est important pour la sécurité. Ils ont également accès aux sites des entreprises et, dans certains cas, même aux bâtiments.» Une troisième activité que certaines entreprises externalisent volontiers est ­l’assistance par téléphone ou en ligne. Pour cela, Urban Connect emploie du personnel qui effectue d’autres tâches entre deux appels: «Par exemple la personnalisation des stations de recharge, ce qui remplit les ‹creux›», précise Mme Häberli. Elle ajoute que le principe du ­travail à la demande ne constitue pas un problème en soi: «Il peut offrir une flexibilité idéale, pendant les études par exemple, pour autant qu’il se déroule dans des conditions socialement acceptables.» 

La Poste et Züriwerk au lieu de petites mains

Ces mots pourraient aussi être ceux de Tobias Joos. Il ne connaît pas Judith Häberli, mais elle et lui ont en commun ambition et ténacité au moment de concrétiser leurs idées. M. Joos était en train de désherber la bordure d’une plate-bande dans la coopérative maraîchère d’Ortoloco quand il a évoqué son projet avec un collègue. Il songeait à faire venir en Suisse «du poivre qui ait vraiment le goût de poivre» ainsi que d’autres aliments qu’il avait découverts dans une culture agroforestière en Inde, cela en mettant directement en lien les productrices et producteurs avec les consommatrices et consommateurs. Un an après, il fêtait l’arrivée du premier conteneur à Zurich avec les gens qui avaient passé leur première commande. 
Cinq ans plus tard, Crowd Container compte près de cinq emplois en équivalent plein temps et environ dix mille clientes et clients. La jeune entreprise ne fête plus l’arrivée de chaque cargaison, mais elle envoie les marchandises – sauf les produits frais – par la poste, dans des boîtes réutilisables. La clientèle va les chercher dans une succursale de l’entreprise partenaire Revendo. ­Züriwerk, fondation pour les personnes handicapées, se charge de transférer les aliments du conteneur aux boîtes, puis au point de collecte. Pas besoin d’entrepôt, car le personnel prépare les commandes immédiatement après réception.
Pour emballer ses marchandises, Crowd Container collabore avec Züriwerk, fondation pour personnes en situation de handicap. De gauche à droite: Nicolas Fojtu et Tiziana Lattanzi (Züriwerk); Tobias Joos et Sunita Wälti (Crowd Container). Photo: màd

Les pires conditions de travail sont dans l’agriculture

Emballer des marchandises en vue de leur expédition est une tâche répétitive. Pour de nombreuses catégories de produits, elle est automatisée ou confiée à du personnel à la demande, par exemple chez le géant Amazon. Afin d’organiser cette étape du travail, M. Joos s’est renseigné auprès de fournisseurs de services de commerce électronique, mais il n’y a pas trouvé son bonheur: «L’emballage d’aliments est compliqué et requiert davantage de soin que d’autres produits. On est encore loin des solutions entièrement automatisées. Hors de question pour nous d’économiser des coûts au détriment des conditions de travail, car nous voulons pouvoir communiquer de manière transparente sur toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement.» La collaboration avec Züriwerk répond aux exigences élevées de ce jeune entrepreneur en matière de durabilité sociale. Celui-ci aimerait transformer de l’intérieur le système du commerce alimentaire. Toutefois, comme il l’explique, «les pires conditions de travail sont dans l’agriculture. C’est donc notre préoccupation centrale». 
M. Joos sait que le prix des produits proposés par Crowd Container rebute parfois les nouvelles clientes et nouveaux clients potentiel-le-s. On leur montre alors, par un exemple concret, la somme de travail nécessaire à la culture et à la récolte, puis on leur demande: «Où voudriez-vous économiser de l’argent?» Le prix bas des denrées alimentaires reflète les conditions de travail ­extrêmement précaires qui sévissent dans l’agriculture, «laquelle, soit dit en passant, est principalement confiée à des migrantes et migrants, dans le monde ­entier», glisse Tobias Joos. Personne ne devient riche avec le prix payé par Crowd Container, «mais il rend possible un autre type d’agriculture». 

Informations supplémentaires:

À propos de l’association Fonds d'innovation

L’association Fonds d’innovation soutient des entreprises innovatrices et durables, en mettant à leur disposition du capital propre sous forme de participations ou en leur octroyant des prêts. C’est ainsi qu’elle appuie des projets, institutions et entreprises modèles dotés de peu de moyens, mais dont les structures sont viables et les idées convaincantes. Le Fonds d’innovation est financé par les dotations de la BAS et par des actionnaires de la Banque qui font don de leur dividende.

Pour soutenir le Fonds d’innovation: 
Compte de dons: IBAN CH85 0839 0115 0810 0100 0
Banque Alternative Suisse SA
Amthausquai 21
4601 Olten

Imprimer l'article
Articles liés

Les entreprises pratiquant le travail à la tâche sont doublement suspectes

La flexibilisation maximale de leur personnel et l’externalisation du risque sont les deux moteurs des entreprises qui pratiquent le travail à la tâche. En agissant au détriment des travailleuses et travailleurs indépendant-e-s, ces sociétés ont peu de chances de se retrouver dans l’univers de placement de la Banque Alternative Suisse (BAS). Des exceptions restent toutefois possibles.
22.09.2021 par Pieter Poldervaart

Genève lutte contre l’ubérisation

En décembre dernier, les autorités genevoises ont contraint les plateformes de transport de personnes et de livraison – telles qu’Uber, Smood et Cie – à engager les «fausses indépendantes et faux indépendants» qui utilisent leurs services. Les entreprises concernées déjouent pourtant les décisions de ­justice. Les syndicats retroussent leurs manches, tout en élevant le débat au niveau national: jusqu’où ces entreprises vont-elles redéfinir les règles qui ­régissent les relations de travail?
22.09.2021 par Muriel Raemy