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13.09.2023 par Sylvie Ulmann

Une seconde vie pour les objets

Aux quatre coins de la Suisse romande, des cafés d’un nouveau genre ont vu le jour: les repair cafés. On n’y vient plus exclusivement pour déguster un espresso, mais aussi pour faire réparer son fer à repasser ou son grille-pain et pour se rencontrer, bien sûr.

Article du thème Économie circulaire

Illustration: Claudine Etter

De Genève à Delémont, ces dix dernières années, les repair cafés se sont multipliés comme des topinambours dans un jardin bio. Si certains ont lieu quelques fois par an, d’autres sont passés à un rythme mensuel. Leur dénominateur commun: ils réunissent une poignée de fans de bricolage et des personnes désireuses de faireréparer des objets en tout genre. Machines à café ou à coudre, aspirateurs, fers à repasser, téléphones mobiles, sèche-cheveux, walkmans, tourne-disques, débroussailleuses, pantalons en mal de bouton ou orgues électriques vintage. Tous ces objets, qu’ils soient estropiés ou simplement fatigués, attendent d’être auscultés accompagnés de leur propriétaire, autour d’une tasse d’arabica. Un service presque gratuit, puisque la clientèle ne paie que les pièces de rechange. Des bénévoles assurent l’organisation de ces événements ainsi que les réparations.


Essor post-pandémique
 
«En Suisse, les premiers repair cafés ont vu le jour il y a une dizaine d’années», détaille Sylvie André, responsable marketing et communication à la Fédération romande des consommateurs (FRC). L’association, engagée dans la lutte contre le vieillissement prématuré des objets et le gaspillage des ressources, chapeaute le réseau des repair cafés du côté francophone de la Sarine. Elle permet aux organisatrices et organisateurs d’échanger expériences et bonnes pratiques ainsi que de bénéficier d’une certaine visibilité: «Nous annonçons les ateliers sur une page dédiée de notre site. Nous proposons en outre un kit de démarrage pour les mettre sur pied ainsi qu’une assurance RC», complète-t-elle. Et d’ajouter que le nombre de ces manifestations a explosé après la pandémie: «On en recense désormais une centaine dans toute la Suisse romande.» Elle est convaincue que cette expansion ne doit rien au hasard: «L’aspect social a joué en leur faveur, les gens étant friands de contacts après les restrictions liées au Covid.» 


Patience et coup de main

Pour éviter de créer une concurrence déloyale envers les artisanes et artisans ayant pignon sur rue et qui luttent déjà pour leur survie, les bénévoles assurent un tri. L’opération a lieu sur place ou dès l’inscription, pour les cafés qui l’exigent au préalable. «Nous orientons les personnes qui viendraient changer l’écran de leur smartphone ou réaliser un ourlet de pantalon vers des pros, puisqu’il y en a», résume August Hangartner, président d’Échallens 21 et membre fondateur du repair café du chef-lieu du district du Gros-de-Vaud. Les autres personnes attendent qu’une réparatrice ou un réparateur soit disponible. Le café prend tout son sens à ce stade des opérations: visiteuses et visiteurs patientent en partageant une tasse et les potins du village ou du quartier. De manière à abréger l’attente, certains cafés ont agi: «Nous nous efforçons de limiter à trente minutes le temps consacré au démontage et au diagnostic de la panne, car nos bénévoles ne manquent pas de motivation», sourit Sylvie Cortat Frey, du repair café jurassien. Lors de ses premières éditions, il y a une dizaine d’années, celui-ci avait été victime de son succès, accueillant une trentaine de visiteuses et visiteurs pour cinq réparateurs! Car, quelle que soit la longueur de la file, pas question de déposer l’objet et de revenir le chercher une fois remis en route: «Nous refusons de travailler en l’absence de la cliente ou du client, qui doit être là pour donner un coup de main», précise Olivier Bernhard, responsable du projet à Genève. Pas besoin d’être la reine ou le roi de la bricole: on peut se contenter de tendre le tournevis ou de tenir le capot du presse-orange pendant les opérations. Et d’ajouter qu’il peut aussi s’agir de prendre la décision de réparer ou non, voire de se satisfaire d’une demi-mesure, par exemple la suppression d’un interrupteur. «Sur les 328 objets apportés par 280 visiteuses et visiteurs dans les 18 journées de repair cafés qui ont eu lieu à Genève en 2022, 49 pour cent ont été entièrement réparés, 4 pour cent partiellement. Pour 16 pour cent d’entre eux, la panne a été identifiée», détaille-t-il en outre. 

Côté statistique encore, relevons que l’électroménager arrive en tête de liste (55 pour cent, toujours dans la cité de Calvin). Championne de cette catégorie, la machine à café, que l’on oublie si souvent de détartrer. Viennent ensuite l’électronique domestique, puis les jouets, les vélos et les textiles. 
Au-delà des chiffres, les repair cafés sont porteurs d’un message: «Nous rappelons aux gens qu’il n’est pas nécessaire de changer de téléphone tous les six mois et qu’acheter sans cesse du neuf ne rend pas forcément plus heureux», souligne Marc Johannot, secrétaire du repair café d’Échallens et lui-même réparateur. «La réparabilité va devenir un véritable critère de choix», conclut-il. 

« Les réparations sont plus difficiles, d’abord parce que les matériaux dont sont faits les objets sont devenus de mauvaise qualité.  »

Dragan Ivanovic, La Bonne Combine


Réparer devient toujours plus important 
Dragan Ivanovic, qui travaille à La Bonne Combine depuis 1994, en est intimement convaincu, lui aussi. Depuis le milieu des années 1990, cette boutique lausannoise redonne vie à une multitude d’objets, dont de l’électroménager. Elle a fait de la lutte contre l’obsolescence programmée son cheval de bataille. Mais il faut se rendre à l’évidence: «Les réparations sont plus difficiles, d’abord parce que les matériaux dont sont faits les objets sont devenus de mauvaise qualité. Les colles ne résistent pas à la chaleur, le métal plie, le plastique casse. Ensuite, pour beaucoup d’appareils, il n’existe pas de pièces de rechange, et encore faut-il parvenir à les démonter. Enfin, leur prix a tant baissé que le temps d’ouvrir et de refermer, on l’a déjà dépassé et mieux vaut racheter du neuf.» Sur ce plan aussi, les repair cafés ont une carte pédagogique à jouer: assister au démontage et à la recherche de la panne peut permettre au public de réaliser que les objets bon marché – ceux dont les composants sont moulés ou indémontables et qui cessent de fonctionner deux jours après l’échéance de la garantie – coûtent toujours trop cher. Peut-être les gens opteront-ils pour un article de meilleure qualité lors d’un prochain achat, voire se tourneront vers une alternative comme l’emprunt (lire encadré).



Les ressourceries pour changer d’habitudes

Dans les milieux de l’économie sociale et solidaire, on imagine des pistes pour accorder «réparation» et «rentabilité». Une nouvelle voie passe peut-être par les ressourceries. L’idée? Donner une deuxième vie aux matériaux et aux objets, en mutualiser l’usage. «Modifier nos comportements implique de changer notre manière de les envisager», résume Antonin Calderon, membre du comité de la Manufacture collaborative (MaCO) à Genève. L’association chapeaute depuis 2019 un bâtiment de 1200 m2 et trois niveaux. Situé dans le quartier de Châtelaine, il réunit un lieu où travailler bois, métal et vélos sous la houlette de bénévoles, ainsi que Le Grand Atelier; La Manivelle, coopérative de prêt d’outils; Matériuum, qui propose des matériaux de deuxième main; le fablab Onl’Fait et Sipy, une association d’échange d’habits et d’accessoires. Ces espaces complémentaires forment un écosystème cohérent, auquel on accède moyennant une somme modique, réglée à l’heure, par mois ou par an suivant la formule. «Les emprunteuses et emprunteurs doivent être assez nombreuses et nombreux pour que le prix de l’abonnement soit intéressant et pour payer les salaires du personnel», détaille Antonin Calderon. Deux autres sites du même genre sont en projet au bout du Léman, à Plan-les-Ouates et dans le futur quartier Praille-Acacias-Vernets. Pour lui, «développer les filières de réparations transforme les filières éco­nomiques. Ces lieux peuvent créer une impulsion. Petit à petit, le public se détournera des objets qui ne sont pas conçus pour être réparés et l’économie devra s’adapter à cette nouvelle demande.»

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