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13.09.2023 par Katharina Wehrli

Zurich se lance dans l’économie circulaire

Depuis peu, un article sur la circularité figure dans la Constitution du canton de Zurich, et la ville a adopté une stratégie appropriée avec « Circular Zürich ». Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce que cela implique dans la réalité ? Et que peuvent faire la ville et le canton pour réussir leur transition vers l’économie circulaire ?

Article du thème Économie circulaire
Illustrations: Claudine Etter

Ce fut un énorme succès pour les Jeunes Vert-e-s : le 25 septembre 2022, le nouvel article sur la circularité est entré dans la Constitution cantonale par la volonté de 89 pour cent de l’électorat zurichois. Le canton et les communes doivent désormais instaurer des conditions-cadres favorables à une utilisation respectueuse des matières premières, matériaux et biens ainsi qu’au bouclage des cycles de matières. L’article les oblige en outre à prendre des mesures pour éviter les déchets, de même que pour réutiliser et valoriser les matériaux et les biens.

« Personne n’aime produire des masses de déchets », avance Julian Croci pour expliquer le large soutien de la population à l’inscription des principes de la circularité dans la Constitution. Conseiller communal à Dübendorf, il a présidé le comité de l’initiative cantonale zurichoise sur la circularité , lancée en 2019 par les Jeunes Vert-e-s. « Les lacunes dans le recyclage, par exemple pour le plastique, touchent beaucoup de gens », poursuit M. Croci. Avec leur initiative, les Jeunes Vert-e-s cherchent non seulement à en améliorer les possibilités, mais aussi à mettre définitivement fin à la société du tout jetable. « Nous avons voulu faire progresser la réflexion sociétale et remettre en question la consommation effrénée. » Le texte de l’initiative charge le canton et les communes de créer des incitations à consommer dans le respect des ressources.


Consensus sur tout l’échiquier politique

La population zurichoise n’a toutefois pas voté sur l’initiative, mais sur le contre-projet du Conseil d’État . Ce dernier a estimé que l’initiative, focalisée sur la consommation individuelle, avait des visées trop étroites. Sous la houlette de Martin Neukom, directeur des travaux publics, le projet a pris de l’ampleur, pour tenir compte de toute la chaîne d’approvisionnement et de création de valeur. Comme l’explique le conseiller d’État, « il s’est agi de concevoir une approche globale, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la production, en passant par l’utilisation et les déchets. » Le contre-projet a mis l’accent sur le secteur de la construction, car c’est là que réside le plus grand potentiel d’évitement des déchets et de bouclage des cycles de matières : la construction totalise à peu près deux tiers des 4,2 millions de tonnes de déchets produits chaque année dans le canton de Zurich. Cette quantité gigantesque nuit au climat et à l’environnement, ne serait-ce que parce que l’aménagement de nouvelles décharges implique le défrichage de forêts. Ce qui soulève régulièrement des vagues d’oppositions, comme il y a peu de temps à Rümlang , dans l’arrière-pays zurichois. « Passer à l’économie circulaire permettra de résoudre élégamment le problème des décharges », sourit Julian Croci.

L’inclusion du secteur de la construction a beaucoup pesé dans la décision des Jeunes Vert-e-s de retirer leur initiative en faveur du contre-projet. Lequel a finalement été adopté à l’unanimité (!) du parlement cantonal avant d’être soumis au peuple, sans campagne pour un « non ». Si même les partis de droite ont adhéré à une idée venant de la gauche, c’est dans une large mesure parce que les nouveaux principes de circularité peuvent renforcer les entreprises locales. Les cycles de matières bouclés ajoutent de la valeur et créent des emplois aussi à l’échelle d’une région. La dépendance vis-à-vis des matières premières importées diminue. De plus, le Conseil d’État a annoncé sa volonté de soutenir de manière ciblée les entreprises dont les approches innovantes contribuent au bouclage des cycles.


Boucler les cycles des matériaux grâce à l’urban mining

Mais comment appliquer le nouveau mandat constitutionnel ? Peu après l’adoption de l’article sur la circularité, le parlement cantonal s’est vu remettre un paquet de propositions de mise en œuvre , avant tout par ses membres Vert-e-s. Elles et ils ont demandé par exemple l’application systématique des principes de circularité dans les marchés publics, ou une généralisation de la collecte et de la valorisation des déchets végétaux. Pour le secteur de la construction, les revendications portaient sur des directives légales en matière de réutilisation d’éléments et matériaux de construction ou sur la réduction de l’énergie grise des nouveaux bâtiments. La balle est désormais dans le camp de l’Office des déchets, des eaux, de l’énergie et de l’air du canton de Zurich (AWEL), qui élabore une stratégie cantonale pour l’économie circulaire. Celle-ci doit être approuvée début 2024 par le Conseil d’État ; la direction n’est donc pas encore en mesure de communiquer des informations sur son contenu exact.

Isabelle Rüegg, porte-parole de l’AWEL, souligne toutefois le fort potentiel de l’« urban mining », (ou « exploitation minière urbaine »). Cette approche considère les zones urbaines denses comme un immense réservoir de matières premières et de matériaux. Elle vise à réutiliser le plus possible de matières premières issues des produits et des infrastructures. Mme Rüegg rappelle que le canton de Zurich a signé en juin 2023 une « charte de construction circulaire » avec onze autres maîtres d’œuvre suisses. Ces douze géants de la construction – le canton et la ville de Zurich, la Confédération ainsi que de grandes entreprises du secteur privé – s’engagent à réduire de moitié l’utilisation de matières premières primaires non renouvelables d’ici 2030 et à abaisser notablement les émissions « grises » de gaz à effet de serre imputables à la construction.

Si le canton parvient à organiser ses propres activités de construction selon les principes de la circularité, il aura valeur d’exemple et incitera des entreprises de construction locales à investir dans des processus circulaires. Il révélera début 2024, avec la stratégie de mise en œuvre cantonale, le cadre légal prévu pour les particuliers afin que la construction et l’économie circulaires deviennent possibles, voire obligatoires pour toutes et tous.


Faciliter la réparation et la réutilisation

La ville de Zurich, elle aussi, s’engage pour l’économie circulaire. En été 2022, peu avant le vote sur le nouvel article constitutionnel, elle fut la première ville suisse à rejoindre la Circular Cities Declaration . Ce réseau international réunit actuellement 66 cités désireuses de passer d’une économie linéaire à une économie circulaire. La stratégie « Circular Zürich », publiée début 2023, montre que la ville souhaite encourager également la construction circulaire. Elle vise en sus à continuer d’améliorer la valorisation et le recyclage des déchets, notamment organiques et plastiques. La municipalité voit encore un grand potentiel dans la recherche et la conception de matériaux et de produits adaptés à l’économie circulaire : en tant que site universitaire et place économique considérable, Zurich est bien placée pour favoriser l’échange de connaissances et pour soutenir plus spécifiquement de jeunes pousses innovantes.

La ville a décelé un fort besoin d’action en ce qui concerne la consommation et l’utilisation : vu le haut niveau de consommation par personne à Zurich, changer les habitudes peut contribuer à préserver les ressources. Selina Walgis y perçoit également un grand potentiel. Selon elle, « le plus important est la durée de vie des produits ». Vice-présidente du comité d’initiative des Jeunes Vert-e-s, elle s'y est beaucoup impliquée. Elle est aussi co-cheffe du groupe des Vert-e-s au conseil communal de Zurich. Sa conviction est que les biens de consommation circulent plus longtemps si la population peut accéder facilement et pour un coût raisonnable aux offres de réutilisation et de réparation. Il suffit de penser aux vêtements, entassés aujourd’hui en quantité impressionnante – parfois à peine, voire jamais portés – dans les centres zurichois de collecte de textiles : on parle de deux mille tonnes chaque année. De telles quantités posent problème, premièrement parce que nombre de ces vêtements sont (ré)exportés vers des pays d’Afrique ou d’Asie, où seule une partie est réutilisable. Leur élimination sur place se fait généralement au détriment des êtres humains et de la nature. Deuxièmement, la production de vêtements elle-même dégage de grandes quantités de CO 2 et de pollution.

Selina Walgis a donc déposé un postulat avec Anna-Béatrice Schmaltz, également conseillère municipale et, depuis peu, présidente des Vert-e-s de la ville de Zurich. Elles proposent à la municipalité de sensibiliser la population aux conséquences négatives de la consommation de vêtements et de participer au financement d’offres locales de réutilisation. « Les articles de seconde main devraient pouvoir concurrencer le neuf. Or, aujourd’hui, ces derniers coûtent souvent moins cher que la fripe », explique Mme Walgis.


Une stratégie nationale est requise

La ville peut soutenir financièrement la transition vers l’économie circulaire par des offres de seconde main et de réparation, ou via de jeunes entreprises innovantes. Ou encore en encourageant l’échange de connaissances sur la circularité entre la recherche, l’économie et l’administration, tout en sensibilisant la population à ce sujet. Elle peut et veut en outre, à l’instar du canton, organiser ses achats et activités de construction selon les principes de la circularité. Mais à certains égards, la ville et le canton se heurtent à leurs limites : pour prolonger la durée de vie des produits et revendiquer le droit à la réparation , comme le prévoit par exemple l’UE, l’économie privée a besoin de directives nationales, voire internationales. Selina Walgis et Anna-Béatrice Schmaltz sont persuadées que l’on doit maintenant aller de l’avant à l’échelle du pays. « Un plan d’action pour tous les domaines de l’économie circulaire est nécessaire aussi au niveau fédéral, et de toute urgence », lance Mme Schmaltz. « L’économie circulaire est un levier important pour éviter la crise climatique, ou tout au moins l’atténuer. Elle devrait donc être la base de l’économie et des comportements en Suisse. »

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