La Suisse dispose d’une plateforme sur la sécheresse depuis mai dernier. À quoi sert-elle et que montre-t-elle ? Le problème concerne-t-il notre pays ? Neuf questions et réponses sur le sens et l’objectif de ce système d’alerte précoce.
moneta: Les changements climatiques perturbent les précipitations et les rendent imprévisibles. Comment vivez-vous cela en tant qu’agriculteur?
Konrad Langhart Quand j’ai repris l’exploitation de mes parents, il y a plusieurs dizaines d’années, nous n’avions aucun équipement pour l’irrigation. Elle n’était pas nécessaire. Elle est aujourd’hui devenue indispensable pour certaines cultures.
Quelles plantes souffrent le plus de la sécheresse?
Les pommes de terre, entre autres. Notre exploitation se trouve dans la région viticole zurichoise, plutôt sèche. Bien que la moyenne annuelle des précipitations n’ait pas diminué, elles se répartissent de manière très défavorable. Voilà l’un des grands changements que nous devons affronter.
Comment s’est passée cette année?
Le temps est resté bon un long moment, puis la première période de chaleur et de sécheresse est arrivée. Les pommes de terre auraient rapidement dépéri sans arrosage. Nous pouvons heureusement prélever de l’eau dans la nappe phréatique.
Ces prélèvements sont-ils réglementés?
Oui, et très strictement, même. Nous nous organisons en association d’irrigation, avec l’agrément du canton. La quantité et le moment des prélèvements sont définis. De plus en plus d’exploitations doivent désormais se répartir l’eau qu’il est permis de pomper. Quand celle-ci devient rare, comme cela s’est déjà produit, les discussions s’enveniment. La répartition a failli tourner à la bagarre. Les choses se sont bien passées, ces dernières années, mais il va falloir prendre d’autres mesures pour surmonter les sécheresses à venir.
Comment votre exploitation s’y prépare-t-elle?
Nous améliorons par exemple la capacité de stockage de l’eau de nos sols et y cultivons des variétés moins gourmandes en eau. Nous essayons de jouer sur tous les plans, mais il y a évidemment des limites. Les variétés résistantes à la sécheresse ne poussent pas du jour au lendemain.
Vous êtes passé de l’agriculture conventionnelle au bio, puis à Demeter.
Oui. En 2017, nous avons subi une tempête de grêle violente, une «supercellule» qui a tout détruit, y compris les vignes. Je me suis dit: «Ce n’est plus normal.»
Cette destruction a donc marqué un tournant pour vous?
Nous avions déjà entamé la transition vers le bio, mais 2017 m’a conforté dans cette décision. Pas «seulement» à cause de l’eau, mais surtout en raison des changements climatiques. Toute la notion de cycle m’a convaincu, de même que l’agriculture régénératrice, qui améliore la capacité de rétention d’eau des sols. Avec le temps, j’ai compris que certaines choses apprises à l’école d’agriculture ne correspondaient peut-être plus à la réalité.
Avez-vous constaté des changements dans vos sols et vos cultures, depuis la conversion?
En ce qui concerne l’eau, je pense que nos cultures résistent mieux, probablement parce que les sols sont devenus plus résilients. Il reste des progrès à faire, bien sûr. La régénération prend du temps. Sans doute préparons-nous le terrain pour la prochaine génération.
Celle-ci devra s’adapter à encore plus d’imprévisibilité.
C’est vrai. Dans l’agriculture, on sait que chaque année est différente, mais si les conditions empirent, nous atteindrons nos limites. Certaines régions de France, d’Italie et d’Espagne manquent parfois d’eau pour faire pousser les cultures.
Vous avez été membre de l’UDC pendant de nombreuses années et avez même présidé brièvement la section du canton de Zurich, avant de rejoindre le parti du Centre. Votre réorientation agricole est-elle allée de pair avec votre mue politique?
(Il rit.) Personne n’ignore que j’étais plutôt conservateur, jadis. J’ai évolué, si l’on peut dire. J’ai réalisé qu’on ne peut plus tout faire comme autrefois.
Faut-il du courage pour changer de camp?
On doit en tout cas résister à quelques vents contraires. Notre exploitation est évidemment observée de près. Dès que quelque chose cloche, cela conforte dans leur opinion les gens qui nous scrutent avec scepticisme. Mais même dans l’agriculture conventionnelle, certaines personnes s’intéressent beaucoup à ce que nous faisons.