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29.09.2025 par Roland Fischer

L’eau ne doit pas toujours être potable

On s’en sert pour se doucher, tirer la chasse, laver nos vêtements, arroser nos jardins, parcs et cultures. Or, une eau de moindre qualité conviendrait très bien à ces usages. Hong Kong et San Francisco montrent à quoi peuvent ressembler d’autres systèmes d’approvisionnement. Où en est la Suisse en matière d’utilisation d’«eau industrielle»?

Article du thème L’eau
Illustrations: Claudine Etter

On entend parfois que l’eau du robinet serait «meilleure» que l’eau minérale en bouteille. Une certitude, à propos de l’eau du réseau, est qu’on ne se contente pas de la boire, mais que l’on s’en sert également pour vidanger les toilettes et éteindre les incendies. En engloutissant plus de 40 litres par personne et par jour, les WC sont le plus gros consommateur d’or bleu dans un ménage, suivis par l’hygiène corporelle et ses 36 litres. Tout est blanc ou noir avec l’eau: soit elle est propre et on peut la boire, soit elle est sale. 
Mais ailleurs, la réalité peut différer. Hong Kong dispose depuis les années 1950 d’un système à double canalisation. Y circulent côte à côte de l’eau potable et de l’eau de mer, celle-ci étant utilisée dans les toilettes et pour combattre le feu. Aux États-Unis aussi, notamment en Californie, on trouve des réseaux de distribution d’eau non potable, appelés «purple pipes» (tuyaux violets) en raison de leur couleur caractéristique. Certains quartiers de San Francisco ont un réseau de distribution spécifique pour les eaux usées traitées, destinées aux parcs, au zoo et aux entreprises. Pourquoi n’existe-t-il rien de comparable en Suisse? 

Techniquement faisable 
L’Eawag (institut de recherche sur l’eau des EPF) a récemment publié un rapport sur la réutilisation des eaux en Suisse. Sa conclusion: tout cela est compliqué. Le traitement en lui-même ne pose pas de problème d’un point de vue technique. Les eaux usées peuvent resservir en tant qu’eaux industrielles, voire devenir potables moyennant un traitement plus poussé. Compte tenu des changements climatiques et des périodes de sécheresse prévisibles, l’équipe de spécialistes présente les eaux industrielles comme une partie de la solution. Utiliser de l’eau non potable dans la chasse d’eau permettrait d’économiser environ 30 pour cent du volume à usage domestique. Un chiffre qui passerait à 50 pour cent si l’on employait aussi de l’eau un peu mieux retraitée pour la lessive et à d’autres fins «non potables». 
La grande question, outre les préférences individuelles en matière d’hygiène, est la suivante: comment amener l’eau industrielle là où l’on peut s’en servir, par exemple dans le réservoir des toilettes? Le traitement pourrait se faire dans les stations d’épuration et il faudrait de nouvelles conduites sous pression pour acheminer le liquide vers les ménages ou l’industrie. Hélas, la pose à grande échelle de nouvelles conduites dans le sol représente une tâche titanesque, difficile à financer. Le procédé dit «pipe-in-pipe», qui consiste à insérer les conduites de retour dans de gros tuyaux d’égout, serait envisa-geable, mais il nécessite également de fortes subventions. On utilise de l’eau potable pour éteindre les feux dans notre pays parce que les bouches d’incendie sont raccordées, pour des raisons pratiques, à l’omniprésente infrastructure d’eau potable. 

Des obstacles réglementaires 
Les auteur-e-s de l’étude ont constaté qu’il existe aussi des obstacles réglementaires liés à l’utilisation: en Suisse, l’irrigation avec des eaux usées qui ont subi un traitement spécifique est considérée comme une infiltration d’eaux polluées. Une pratique interdite sans autorisation spéciale, en vertu de l’ordonnance sur la protection des eaux. Cette situation actuelle tient un peu du paradoxe: quelle est en réalité la différence entre des eaux usées explicitement traitées, provenant d’une canalisation (violette ou non), et une rivière dans laquelle des stations d’épuration ont déversé de l’eau traitée? L’agriculture a le droit d’en prélever pour irriguer les champs. 
La solution la plus simple serait la «variante de luxe». Avec un traitement permettant de rendre potables les eaux usées, les réseaux existants pourraient la redistribuer. De nombreux endroits (par exemple Los Angeles, Windhoek, Singapour) ont adopté cette forme de traitement fort coûteuse il y a des décennies, avec succès. Quant à savoir si la Suisse misera davantage sur l’eau industrielle à l’avenir, la décision revient à la sphère politique. Le rapport précité constate en tout cas que l’UE a une petite longueur d’avance en la matière.

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