Ces dernières années, l’évolution des plateformes de micro-travail colle particulièrement bien avec la notion de « Turc mécanique », même si les responsables d’Amazon étaient sans doute loin de s’en douter en créant la leur en 2005. Outre les petits boulots sans intérêt qui servent à optimaliser des moteurs de recherche ou sont censés « propulser » quelqu’un-e sur les médias sociaux, on trouve sur Mechanical Turk beaucoup de tâches étroitement liées à l’essor de l’intelligence artificielle (IA), au cœur de la technologie numérique. Rares sont les IA qui se débrouillent seules ; lors du processus d’apprentissage, elles ont souvent besoin d’un important soutien humain. De nombreuses plateformes de micro-emplois autres que celle d’Amazon existent aussi parce que l’IA repose encore largement sur l’intelligence humaine. Appen s’est même spécialisée dans l’apprentissage pour IA : les bases de données créées par la communauté Appen et les IA entraînées avec ces données intègrent, en fin de compte, le travail de plus d’un million de personnes vivant dans plus de 170 pays (« over 1 million skilled contractors who speak over 235 languages, in over 70,000 locations and 170 countries »). Autrement dit, la boîte à malices de l’IA contemporaine est assez grande pour dissimuler pas mal de monde.
Les tâches accomplies vont du légendage d’images à des activités plus complexes, par exemple la linguistique ou le traitement de photos. Ces tâches spécifiques peuvent exiger un certain savoir-faire. Si l’on s’y connaît un peu en IA, on s’apercevra vite, en parcourant les offres de micro-emplois, que ces derniers relèvent souvent de l’apprentissage supervisé. Une intervention humaine considérable est nécessaire pour améliorer l’IA au cours de ce processus. On doit accompagner patiemment l’algorithme jusqu’à ce qu’il puisse, si tout va bien, réaliser une tâche de manière autonome. Même si ce n’est pas le cas dans tous les domaines de l’IA, l’apprentissage supervisé est la norme, avant tout dans la reconnaissance d’images. Comment la machine apprend-elle à distinguer un chien d’un chat ? Eh bien, en analysant des milliers d’images de chien ou de chat, toutes ayant été préalablement « étiquetées » par des humains : voici un chat, une chaise, une fenêtre.