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11.06.2025 par Katharina Wehrli

«Tout le monde doit avoir accès aux informations utiles à la démocratie»

Comment le journalisme local peut-il aujourd’hui toucher un public jeune tout en étant rentable? Le magazine en ligne «Tsüri», soutenu par le Fonds d’innovation de la BAS, prouve que cela est possible. Simon Jacoby, codirecteur et rédacteur en chef, raconte la genèse de «Tsüri» et donne la recette de son succès. 


Article de la BAS
Article du thème RENFORCER LA DÉMOCRATIE
Photo: màd
«Tsüri» organise régulièrement des événements: ici, une table ronde sur l’économie circulaire dans une halle de production de l’entreprise Freitag, à Zurich-Oerlikon.

Le journalisme local est à la peine. De nombreuses publications locales ont disparu au cours des dernières décennies, ou alors elles doivent réduire leur couverture médiatique pour cause de contraintes budgétaires. Ce n’est pas le cas de «Tsüri»: ce magazine en ligne zurichois, urbain et indépendant, résiste depuis dix ans. «Tsüri» s’adresse à un public jeune (la majorité des lectrices et lecteurs a entre vingt et quarante ans) et informe chaque jour sur l’actualité de la ville. Il s’intéresse en particulier au logement, à la politique, au climat, à la vie citadine et – depuis peu – à la culture. Tous les contenus de «Tsüri» sont accessibles gratuitement, tout comme sa lettre d’information quotidienne, que reçoivent plus de 20 000 personnes, et les différentes infolettres hebdomadaires. L’une d’elles résume et explique les débats du conseil municipal zurichois. «Tsüri» progresse continuellement et, comme l’indique son fondateur Simon Jacoby, sa situation financière est très bonne depuis environ deux ans. Comment cela est-il possible? 

De la fraîcheur dans le journalisme local 
Au départ se trouvait un petit groupe hétéroclite de jeunes qui partageaient une vocation de journalistes, raconte Simon Jacoby, dans les locaux de la rédaction de «Tsüri». Cette dernière a récemment emménagé dans une ancienne usine d’emballage à Zurich-Altstetten. Celui qui est devenu rédacteur en chef et codirecteur décrit ainsi la motivation de l’équipe fondatrice, il y a dix ans: «Au moment de la fondation, nous avions envie d’explorer deux pistes. Peut-on imaginer faire du journalisme local seulement sous la forme numérique? Et pouvons-nous amener un public jeune à s’intéresser à des sujets politiques?» À l’époque, avant que débute le mouvement de la grève pour le climat, on disait que les jeunes se fichaient de la politique. M. Jacoby et ses collègues n’en croyaient rien. 
Voilà comment, sans aucune expérience journalistique, l’équipe a créé en 2015 un nouveau magazine urbain en ligne. «Nous n’avions ni forme juridique, ni structure interne, ni modèle économique. Nous avons tout simplement commencé avec un site web fait maison, un dossier Google Drive et une page Facebook. Point», se souvient Simon Jacoby, qui a étudié les sciences politiques et le journalisme à l’Université de Zurich. À l’origine, le projet était bénévole et prévu pour durer deux ans. On a vite constaté un très grand besoin de jour­nalisme local différent: au lieu des 2000 visiteuses et visiteurs attendu-e-s, le site web en a accueilli 25 000 le premier mois. Décision a rapidement été prise de pérenniser le projet. 

Le journalisme en tant que bien public 
L’équipe a conçu un modèle économique reposant sur deux sources de revenus: la publicité et les cotisations volontaires des membres. Le contenu journalistique devait être gratuit et accessible à toutes et tous. Une décision motivée par l’intention d’élargir l’audience, mais aussi par la conviction que le journalisme est un bien public, comme l’affirme le site web de «Tsüri». Son fondateur ajoute: «Tout le monde doit avoir accès aux informations utiles à la démocratie, indépendamment de ses moyens.» 
La quête du capital initial a été difficile, vu le pessimisme qui régnait alors dans la branche. L’équipe fondatrice est finalement parvenue à réunir les fonds nécessaires dans son propre cercle. Elle a pu se lancer et créer le magazine en ligne avec des ressources limitées: «Nous avons longtemps navigué à vue», confirme Simon Jacoby. Peu à peu, le constat s’est imposé qu’outre les recettes publicitaires et les cotisations, une troisième source de financement était indispensable. 

Participation du Fonds d’innovation 
Le groupe a décidé de miser aussi sur les recettes provenant d’événements communautaires et a développé le concept «Civic Media»: des tables rondes, promenades en ville ou ateliers conçus pour rapprocher les habitant-e-s des sujets et débats locaux, par exemple le logement, la mobilité ou l’économie circulaire. L’équipe de «Tsüri» comptait générer ainsi davantage de revenus (principalement grâce à des parrainages), mais également accroître l’impact de son propre travail journalistique. 
Avec le projet «Civic Media» en complément de son modèle commercial, l’équipe fondatrice s’est lancée pour la deuxième fois à la recherche de capitaux. Elle a obtenu, entre autres, le soutien du Fonds d’innovation de la BAS. La jeune entreprise était déjà en relation avec la Banque en tant que cliente commerciale. «Dès le début, nous savions que nous voulions travailler avec elle, car ses valeurs correspondent aux nôtres.» Simon Jacoby tient à dire combien il apprécie le contact personnel avec la BAS: «Je n’ai jamais l’impression de parler à une entreprise anonyme quand j’ai besoin de quelque chose.» Le Fonds d’innovation a participé à la deuxième phase de financement à hauteur de 50 000 francs. «Cela nous a énormément aidé-e-s, notamment en matière de crédibilité», se souvient M. Jacoby. «Nous étions alors en pourparlers avec différentes personnes. Une fois que le Fonds d’innovation nous a accordé son soutien financier, les autres ont suivi.» 

Une recette pour d’autres villes? 
Depuis 2018, le concept événementiel «Civic Media» a du succès, aussi bien financièrement qu’en ce qui concerne l’impact attendu. «Quand nous organisons par exemple des promenades en ville et visitons des entreprises fonctionnant en circuit, cela touche beaucoup plus les participantes et participants qu’un article journalistique», relève Simon Jacoby. «Tsüri» est aujourd’hui économiquement plus solide que jamais: les revenus de l’entreprise sont stables, elle n’a pas de dettes et bénéficie d’une subvention de deux ans du fonds international Media Forward Fund. Cela lui permet de se consacrer à de nouveaux projets. L’entreprise a ainsi lancé il y a peu «WNTI», magazine urbain numérique pour Winterthour, en collaboration avec l’association Winterthurer Verein für Medienvielfalt et avec le soutien d’une fondation. 
Simon Jacoby et ses collègues auraient donc trouvé la recette pour un journalisme local durable? «Nous en avons assurément trouvé une», rétorque le rédacteur en chef. D’après lui, elle peut fonctionner à condition de disposer systématiquement de trois sources de revenus: la publicité, les cotisations des membres et les événements. «En tout cas dans des villes ou agglomérations de la taille de Zurich.» Le nouveau magazine «WNTI» montrera si ce modèle économique confirme son efficacité dans une ville comme Winterthour, avec ses 100 000 habitant-e-s. Il serait alors transposable. Certes, on trouve déjà des magazines urbains numériques dans d’autres grandes villes, mais M. Jacoby sait que le besoin est important ailleurs. «Beaucoup de gens nous ont écrit pour nous demander quand une offre similaire allait être disponible chez eux.» Le problème majeur réside, à son avis, dans le manque de couverture journalistique des régions rurales. «Je ne vois pas comment le journalisme pourrait s’y autofinancer. L’État doit soutenir les médias locaux», affirme l’entrepreneur avec conviction. «Même quand le journalisme n’est pas rentable, nous en avons besoin en tant que société.» 

Les sujets locaux font la différence 
Et quel est l’avenir de «Tsüri», selon notre interlocuteur, nommé journaliste local de l’année 2024? «Nous aimerions devenir la plus grande rédaction locale de la ville.» Il envisage d’étendre en outre le contenu: à ce jour, les reportages de «Tsüri» ne couvrent pas l’économie, la finance et le sport. Pour M. Jacoby, le journalisme local est la discipline reine du métier et, en tant que tel, il a également de l’importance pour la démocratie. Car sans lui, la désinformation grignote du terrain et la participation aux processus civiques s’étiole. Des études le confirment. Bien sûr, le journalisme est nécessaire aussi aux niveaux international et national, convient le fondateur de «Tsüri», «mais ce sont souvent les sujets locaux qui font la différence au quotidien». 

Photo: màd
Simon Jacoby, fondateur et rédacteur en chef de «Tsüri», a été nommé journaliste local de l’année en 2024.

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